mardi 28 août 2012

Plus qu'un texte...

Lire Jacques 1, 17-27

La liturgie de ce dimanche nous propose un extrait de la lettre de Jacques où le thème de la Parole de Dieu a une place importante. Saint Jacques nous rappelle que cette Parole est un don, un cadeau pour notre vie. Il propose deux comparaisons : la Parole de Dieu est comme une semence en nous; et la personne qui écoute la Parole sans la mettre en pratique, c’est comme quelqu’un qui se regarde dans le miroir et qui oublie, en se détournant, de quoi il a l’air.

Lorsque un chrétien entend l’expression « la Parole de Dieu, » il pense d’abord au texte de la Bible. Pourtant, dans la tradition chrétienne, la Parole de Dieu n’est pas d’abord un texte.

On dit parfois que le judaïsme, le christianisme et l’islam sont des religions du livre. Mais il me semble que cette expression n’est vraiment juste que pour l’islam qui voit, dans le Coran, un texte dicté par Dieu. Pour le judaïsme et le christianisme, au contraire, la Parole de Dieu est d’abord une série d’événements arrivés dans l’histoire. Pour ces deux religions, la Parole de Dieu, c’est Dieu qui agit dans le monde. Car sa Parole est efficace, active, dynamique. Il crée par sa Parole. Il fait surgir la vie par sa Parole. Sa Parole libère et sauve.

Ces événements doivent ensuite être compris et interprétés. L’interprétation, guidée par l’action de l’Esprit-Saint dans le cœur des témoins, est aussi Parole de Dieu. C’est ce qu’on appelle l’inspiration : l’action de Esprit qui aide à comprendre les événements où Dieu s’engage et se révèle.

Enfin, ces événements et leur interprétation sont racontés, transmis, mis par écrit. Le texte final, la Bible, est aussi appelé « Parole de Dieu. » Mais le texte est l’étape ultime d’un cheminement où Dieu se dit et nous invite à croire en lui.

Pour les chrétiens, l’événement capital par lequel Dieu se manifeste, c’est la venue de Jésus parmi nous. Jésus est la Parole de Dieu incarnée, le « Verbe » fait chair. Dans tout ce que Jésus dit, dans tout ce que Jésus fait, c’est Dieu qui nous parle.

Alors, lorsque saint Jacques nous invite à accueillir la Parole et à la mettre en pratique, il nous invite à plus qu’une simple lecture méditée. Il nous invite à comprendre l’histoire de l’action divine au cœur du monde, à chercher à la comprendre avec l’aide de l’Esprit, à y correspondre en laissant Dieu agir en nous, à notre tour.

La Parole de Dieu, c’est plus qu’un texte : c’est une histoire d’amour dans laquelle nous sommes invités à nous engager.

vendredi 24 août 2012

Une phrase choquante...

Lire Éphésiens 5, 21-32

La deuxième lecture que nous propose la liturgie en ce dimanche est un des passages les plus controversés aujourd’hui parmi tous les textes de Saint Paul. Ces quelques versets de sa lettre aux Éphésiens comprennent la phrase bien connue : « Femmes, soyez soumises à vos maris. » À notre époque qui a vu fleurir le mouvement féministe, mouvement qui a travaillé à faire accepter l’égale dignité de la femme, une telle phrase est reçue comme une insulte. Et prise telle quelle, c’en est une. Mais il faut replacer cette phrase dans un triple contexte : contexte littéraire, contexte poétique et contexte social.

Respecter le contexte littéraire veut dire lire cette phrase avec ce qui la précède et ce qui la suit. Ce qui la précède, c’est une invitation générale à tous les membres de la communauté chrétienne à se soumettre les uns aux autres, par respect pour le Christ. En autres mots, il faut que tous, hommes et femmes, nous développions dans nos rapports les uns avec les autres une attitude d’humilité qui nous fait vraiment écouter l’autre et le respecter comme si c’était le Christ. Paul continue en appliquant cet enseignement général à l’épouse dans sa relation avec son époux. Si on garde en tête que l’enseignement général s’applique à tout le monde, la phrase choquante… choque un peu moins.

Respecter le contexte poétique veut dire comprendre le verbe « se soumettre » comme un synonyme du verbe « aimer. » En effet, la poésie juive aimait doubler les expressions en se servant de synonymes, par exemple : « Que les nations acclament le Seigneur, que tous les peuples chantent son nom. » On retrouve ce genre de dédoublement dans beaucoup de textes juifs. Il ne faut pas chercher à établir un contraste entre « acclamer » et « chanter, » mais plutôt à faire ressortir la ressemblance. En appliquant ce principe, on trouve que la phrase « femmes, soyez soumises à vos maris » est reprise en écho symétrique par la phrase suivante « maris, aimez vos femmes. » Et pour faire comprendre ce parallèle, Paul rappelle que le mari doit aimer sa femme comme le Christ a aimé l’Église, c’est-à-dire en mourant à lui-même pour la faire vivre. N’est-ce pas là une réalité identique à la soumission?

Enfin, il faut respecter le contexte social. Paul n’a pas mis en question les structures sociales de son temps, structures qu’aujourd’hui nous trouvons injustes. Il a accepté tant l’esclavage et la dictature politique que le déséquilibre de pouvoir entre hommes et femmes. Ce qu’il cherchait, c’était la façon de vivre ces réalités selon la foi chrétienne. Depuis le temps de Paul, on a appris que cette foi chrétienne inspire même à transformer ces réalités sociales : à faire disparaître l’esclavage, à promouvoir la démocratie, à trouver le juste équilibre entre hommes et femmes. Mais le souci de Paul demeure d’actualité : trouver une façon de vivre ces réalités qui reflète la foi qui nous habite.

En ce sens, le message inscrit dans ces quelques versets garde toute son actualité : le mariage chrétien doit s’inspirer de l’amour qui unit le Christ à son Église, y puiser son sens, le refléter au cœur du monde, le transmettre aux autres. Il faut proclamer ce message aujourd’hui plus que jamais, avec encore plus d’insistance et de courage, au cœur même d’une réalité sociale qui n’est plus celle du temps de Saint Paul.

mercredi 15 août 2012

Canta et ambula

Lire Éphésiens 5, 15-20

Apprendre qu’on a été nommé évêque, c’est à la fois une grande joie et une source d’anxiété. L’anxiété n’est pas diminuée par le secret qu’on doit garder en attendant que la nomination soit publiée à Rome. Je dois dire que j’ai trouvé difficile cet intervalle de huit jours entre ma nomination et son annonce. Ça fait quinze ans, mais je m’en souviens bien : ma vie avait changé sans que je puisse en parler à qui que ce soit.

J’ai pu au moins en profiter pour me choisir une devise. En effet, une vieille tradition veut qu’un nouvel évêque se choisisse quelques mots qui expriment un peu la vision de son ministère. J’ai fouillé pendant plusieurs jours dans la bible, mais j’ai fini par m’arrêter à une homélie de saint Augustin. Dans cette homélie du jour de Pâques, l’évêque du quatrième siècle réfléchit au chant de l’Alléluia qui résonne dans l’église en ce dimanche de la Résurrection. Il suggère qu’en ce jour, l’Église de la terre est unie à l’Église du ciel par le chant de l’Alléluia. Mais il propose aussi qu’il y a une différence qu’il ne faudrait pas négliger : au ciel, on chante alléluia au repos, tandis que sur la terre, on chante alléluia en marchant, comme des pèlerins. L’Alléluia du pèlerin, c’est un chant d’encouragement, un chant d’entrain qui le pousse à ne pas lâcher, qui remet la joie au cœur d’un chemin qui est parfois pénible. C’est ainsi, dit Augustin, qu’il faut chanter alléluia sur la terre : en marchant. Il finit son homélie en latin avec ce défi : canta et ambula, chante et marche.

J’ai choisi ces mots comme devise d’abord parce qu’ils font allusion aux années que j’ai consacrées à l’étude du chant, d’une part, et à mon engagement en Église, d’autre part. Mais encore plus, ces mots me parlent d’un mouvement fondamental de la vie chrétienne qui rythme célébration et engagement, rituel et vie quotidienne, sacrements et transformation du monde. Le chant représente cette dimension joyeuse et spontanée de la vie de l’Esprit qui s’exprime dans la gratitude et la louange. Mais la vie chrétienne, c’est aussi la marche : l’engagement au cœur du quotidien où, par nos choix et nos actions, nous cherchons à bâtir un monde ouvert au Royaume de justice, de paix et de joie.

N’est-ce pas là le rythme que nous présentent ces quelques versets de l’épître de Saint Paul aux Éphésiens en ce dimanche? Paul nous dit que la vie chrétienne au cœur du monde n’est pas facile, parce que le monde ne partage pas les valeurs de l’Évangile : « nous traversons des jours mauvais, » dit-il, durant lesquels il faut absolument rester attaché à la volonté de Dieu.

Mais même au cœur de cet immense défi, il faut savoir chanter et célébrer le Seigneur, car il est ressuscité, il a triomphé du mal et de la mort, il est la source de notre espérance et de notre amour. Il faut chanter « des psaumes, des hymnes, de libres louanges » avec nos voix, certes, mais surtout avec notre cœur.

Écoutons donc cette invitation de Saint Paul, écoutons ce défi de saint Augustin, apprenons « à chanter et à marcher » au jour le jour. Canta et ambula.