mercredi 24 juillet 2013

L'eau meurtrière, l'eau vivifiante

Lire Colossiens 2, 12-14

L’eau est une chose belle et dangereuse. Sans elle, nous mourons. C’est pourquoi nous craignons le désert, la sécheresse, la soif. D’autre part, une surabondance d’eau est dévastatrice. C’est pourquoi nous craignons les inondations, les tempêtes en mer, un canot renversant. Les eaux de la naissance peuvent parfois devenir les eaux de la mort.

L’histoire de Moïse à la tête des Hébreux fuyant l’esclavage en Égypte nous rappelle cette double nature de l’eau. Rendus à la mer des Roseaux, ils ont d’abord vu en elle un obstacle à la liberté. Pourtant, cet obstacle est devenu le moyen même dont Dieu se servirait pour les mener à la liberté. En effet, l’histoire raconte que Dieu a ouvert la mer devant les Hébreux pour qu’ils passent à pied sec. Ensuite Dieu referma la mer sur les Égyptiens : elle est devenue pour eux un tombeau. L’eau peut être source de vie, comme elle peut donner la mort.



Jean-Baptiste invitait les gens à être plongés dans l’eau en signe de leur besoin d’être purifiés de leurs péchés. Comme une résolution du Jour de l’an, le baptême de Jean permettait à une personne d’exprimer son désir de mourir au passé pour revivre à l’avenir; de faire une rupture nette avec hier afin de recommencer pour demain. Nous nous rappelons de la prière du pécheur dans le Psaume 51 : « Seigneur, lave-moi de ma faute, purifie-moi de mon péché. » Et nous nous souvenons de la réponse du Seigneur : « Je verserai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés... Je mettrai en vous un Esprit nouveau... Vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu. » (Ézéchiel 36)

Pour les chrétiens, le baptême est encore plus que l’expression d’un besoin de purification et d’un désir de changement. Dans sa lettre aux Romains, probablement écrite vers l’an 57, Paul décrit le baptême comme un plongeon dans la mort du Christ, dans l’espoir de remonter un jour avec lui vers une vie nouvelle. Avec le Christ, nous sommes morts au péché, afin que de vivre d’amour et de grâce.

Dans sa lettre aux Colossiens, que la plupart des spécialistes croient avoir été composée cinq ans plus tard, la pensée de Paul a fait un pas de plus : notre résurrection serait déjà accomplie, car par le baptême nous avons mis notre foi en Celui dont la puissance a déjà ressuscité le Christ. Cette puissance, que nous nommons l’Esprit de Dieu, est déjà active en nous, nous transformant à l’image du Christ, faisant de nous les fils et filles du Père!

En réalité, la vie chrétienne n’est qu’un long rattrapage de la réalité qui s’est déjà emparée de nous. Le baptême n’est pas seulement un événement qui nous est arrivé dans le passé; c’est un acte dont les conséquences, comme les vagues d’une roche jetée à l’eau, rayonnent sur toute notre vie. Certes, il est vrai de dire : « À telle date dans le passé, j’ai été baptisé. » Pourtant, il est encore plus vrai d’affirmer : « En ce moment, je suis baptisé. Plus aujourd’hui qu’hier. Moins aujourd’hui que demain. »

samedi 20 juillet 2013

Pénétrer le mystère

Lire Colossiens 1, 24-28

Lorsque nous essayons d’expliquer ce que nous entendons par « Dieu », les mots viennent difficilement, les concepts échouent et les raisonnements s’effondrent. Nous ressemblons à une ancienne calculatrice de poche qui, confrontée à un calcul qui dépasse ses capacités, affiche « ERREUR ». C’est pourquoi nous affirmons que Dieu est un mystère. Pourtant, un mystère n’est pas un problème à résoudre, comme si le concept de Dieu s’apparentait à une version un peu plus complexe de la théorie générale de la relativité. Il faut plutôt comprendre le mystère comme une réalité universelle dont la profondeur et le sens, même s’ils nous échappent, ne cessent de nous interpeller. Nous sommes à la fois fascinés et dépassés par le mystère de Dieu. Ce mystère fait signe, il nous invite à entrer dans son obscurité afin d’en découvrir la lumière et la gloire.



Telle fut l’expérience de Saint Paul. Avant sa rencontre avec le Christ ressuscité, sa connaissance de Dieu était partielle et obscurcie. En acceptant la souffrance du Christ pour lui, en acceptant l’obscurité de la Croix, Paul a pu découvrir la luminosité de l’amour de Dieu non seulement pour lui, mais pour le monde entier. Il peut alors se réjouir des difficultés que son ministère lui occasionne, car en s’unissant plus intimement au Jésus souffrant, il découvre plus amplement l’amour vivifiant de Dieu. C’est pourquoi il peut écrire ces mots étranges, mais si beaux : « Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l’Église. »

Grâce aux épreuves qu’entraîne son ministère, grâce au rejet et à la souffrance qu’il éprouve à cause de sa foi, Paul s’approche d’une meilleure compréhension, d’une expérience plus riche de la profondeur de l’amour même de Dieu pour tous les peuples. Voilà le « mystère » dans lequel nous pouvons tous pénétrer : « Le Christ est au milieu de vous, lui, l’espérance de la gloire! » Paul nous invite donc à entrer dans ce mystère afin de connaître la plénitude de cette gloire. Voilà la grande mission de sa vie, l’immense tâche qu’il a acceptée et pour laquelle il est prêt à souffrir et à mourir.

Ceux et celles qui savent vraiment ce que signifie aimer savent aussi que l’amour est souvent coûteux et douloureux. Il exige que nous mourions à nous-mêmes afin que d’autres puissent parvenir à une vie plus épanouie. Un parent qui souffre par amour pour son enfant, un conjoint qui se donne entièrement pour soigner une épouse ou un mari, un travailleur social qui pleure les douleurs d’une famille brisée, un professionnel de la santé qui est déchiré par les ravages d’une maladie : tous entrent dans ce sombre mystère qui, s’il est vécu dans l’amour, peut donner accès à la lumière. Le « mystère » qui a été caché depuis tous les temps devient alors source de sens et d’espérance.

Sans amour, les épreuves et les douleurs de cette vie ne peuvent que nous épuiser et nous abattre. Vécus dans l’amour, ils peuvent devenir un moyen de connaître le mystère de Dieu, d’entrer dans ce mystère avec Jésus, d’être soutenus et renouvelés par ce mystère. Telle fut l’expérience de Saint Paul. Puisse-t-elle aussi être la nôtre.

dimanche 14 juillet 2013

Seigneur, Sauveur

Lire Colossiens 1, 15-20

Les spécialistes de la Bible croient que le texte qui nous est proposé aujourd'hui n'est pas de la plume de Saint Paul: il s'agirait plutôt d'une hymne déjà connue à Colosses (ville près d'Éphèse en Turquie) que Paul cite pour en développer les arguments et les conséquences. Si tel est le cas, cette hymne au Christ est l'une des plus anciennes qui nous ait été préservée, remontant pratiquement à la naissance de l'Église.

Elle se décline en deux strophes. La première évoque le rôle du Christ depuis toute éternité alors qu'il participe à l'oeuvre créatrice de Dieu le Père; la seconde célèbre le rôle du Christ dans l'histoire alors qu'il ressuscite d'entre les morts, portant ainsi à son achèvement l'oeuvre de réconciliation du Père.

Dans l'évolution de la conscience religieuse d'Israël, Yahvé est d'abord apparu comme le libérateur, le rédempteur qui a sauvé son peuple de l'esclavage en Égypte. Ce n'est que plusieurs siècles plus tard qu'on a compris que Yahvé était également à l'origine du monde, qu'il était créateur de l'univers. (Le récit de la création dans le livre de la Genèse a été rédigé au 9e siècle avant Jésus-Christ, alors que l'Exode avait eu lieu trois siècles plus tôt.)

Ainsi en a-t-il été face pour les premiers chrétiens face au Christ. On a d'abord compris que sa croix et sa résurrection accomplissaient la libération définitive de l'humanité, alors qu'il surmontait le mal et la mort une fois pour toutes. Lentement a-t-on compris qu'il était aussi lié l'acte créateur du Père avant tous les siècles, en dehors du temps.

L'hymne aux Colossiens est le fruit de cette prise de conscience. Le Christ nous est présenté intimement associé à l'oeuvre du Père. Il participe à la création, "car en lui tout a été créé". Même plus: tout a été créé "pour lui", c'est-à-dire, en vue du Christ. Car il incarne la perfection même de la création. Il manifeste l'étape ultime de l'évolution humaine, ce vers quoi tend tout l'univers. Les évêques rassemblés au Concile Vatican II il y a cinquante ans l'ont exprimé ainsi: "Le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation." (Gaudium et spes, no 22)



L'hymne continue: non seulement le Christ participe-t-il à l'acte créateur du Père, il joue un rôle central dans le plan salvifique du Père. Car Dieu veut que la création surmonte la blessure causée par le péché des humains. Et le Christ, en qui habite "toute plénitude", vient réconcilier toutes choses par sa mort et sa résurrection: il a "établi la paix par le sang de sa croix".

À ces deux rôles du Christ correspondent deux titres: "Seigneur de l'univers" et "Sauveur de l'humanité". Il est le modèle parfait de l'humanité, auquel je tends de tout mon être. Le plus je lui ressemble, le plus je deviens tout ce que je suis appelé à être. Ainsi chantaient nos grands-parents: "Ô Jésus, doux et humble de coeur, rendez mon coeur semblable au vôtre." 

Mais le Christ est aussi celui qui me relève de mes erreurs et de mes fautes: il me libère de ce qui m'empêche de devenir tout ce que je suis appelé à être. C'est pourquoi nos grands-parents ajoutaient: "Ô Jésus, doux et humble de coeur, brûlez mon coeur au feu du vôtre." 

samedi 6 juillet 2013

Tout un tatouage!

Lire Galates 6, 14-18

Pour les Juifs, la circoncision des mâles est le signe physique essentiel de l’appartenance au Peuple choisi, un signe inscrit de façon permanente dans la chair, de façon encore plus radicale qu’un simple tatouage. Dans le récit où Dieu établit son Alliance avec Abraham, c’est Dieu lui-même qui fixe cette loi pour tous les descendants de ce dernier. Les historiens des religions discutent du sens de la circoncision dans l’ancien Moyen-Orient : serait-ce un signe d’appartenance, un sacrifice sanglant ou un rite de passage? Quoi qu’il en soit, la loi de la circoncision pour les hommes juifs ne connaissait pas d’exception. Un païen qui désirait devenir juif devait se faire circoncire.

Voilà le nœud du problème qui pose difficulté aux Galates nouvellement convertis à la foi en Jésus-Christ. Venus des religions traditionnelles grecques, ils ne connaissent rien aux lois d’Israël. Saint Paul, qui leur a proclamé l’Évangile, leur a fait comprendre qu’ils ne devaient pas s’occuper de ces lois, puisque le salut vient de la foi en Jésus, Sauveur du monde. Mais d’autres disciples, qui ont grandi dans le judaïsme, ne le voient pas ainsi. Pour eux, Jésus est juif, il n’est pas venu abolir la Loi. Alors, pour suivre Jésus, il faut aussi se soumettre à la loi juive. Conclusion : ces nouveaux chrétiens doivent se faire circoncire.

Pour Paul, cette question symbolise le conflit fondamental entre deux façons de comprendre notre relation à Dieu. Cette relation dépend-elle d’abord de ce que je fais à l’égard de Dieu, ou dépend-elle d’abord de ce que Dieu fait à mon égard? Pour Paul, la réponse est claire : Dieu est venu vers nous en son fils Jésus, il s’est penché sur nous dans son grand amour — manifesté sur la croix — et il nous a libérés des puissances du mal en nous donnant son Esprit. Tout vient de Dieu. Tout est grâce.

Selon Paul, croire en la circoncision comme nécessaire au salut -- ou en n’importe quelle autre condition que nous aurions à rencontrer --, c’est glisser vers cet orgueil qui veut nous faire croire que nous pouvons nous sauver nous-mêmes. C’est nier la gratuité de l’amour de Dieu pour nous. C’est affirmer que la mort de Jésus n’est pas l’événement central de cette histoire d’amour. C’est nous aligner avec l’esprit du « monde » plutôt qu’avec l’Esprit de Jésus.

Voilà pourquoi Paul affirme de façon radicale : « La croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil... Ce qui compte, ce n’est pas d’avoir ou de ne pas avoir de circoncision, c’est la création nouvelle. »

Dans cette « création nouvelle », la Loi se résume à l’amour inconditionnel, amour reçu de Dieu, amour partagé avec les autres. C’est par amour que Paul avait été lapidé et flagellé : voilà les seules « marques » qu’il porte dans son corps et qui ont un sens pour lui.

Ce même amour, enfin, permet à Paul de finir cette lettre abrupte et raide avec des mots de tendresse à l’égard des Galates : « Frères, » les appelle-t-il malgré la controverse qui les oppose, « que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. » À une telle prière qui recherche l’unité au-delà des conflits, nous ne pouvons que répondre avec Paul : « Amen! »