lundi 31 août 2020

Homélie pour l’ordination épiscopale de Mgr Guy Boulanger, évêque de Rouyn-Noranda.

 

On dit qu'il y a toujours trois discours: celui qu'on a préparé, celui qu'on a livré, et celui qu'on aurait aimé avoir livré. C'est le texte de ce troisième discours que je vous partage ici.


Vendredi, 28 août, 2020

 

Jérémie 1, 4-10

Jean 21, 1-14


J’aimerais commencer mon homélie ce soir avec une petite leçon d’étymologie et de vocabulaire grec. Le mot « évêque » est dérivé d’un mot grec, épiscopos. Ce mot fait partie d’une famille qui inclut épiscopé, le nom de la fonction; et de épiskeptomai, le verbe exprimant l’action de l’épiscopos.

On peut saisir un premier sens de ce mot si on se souvient que scopos veut dire « regard » ou « vue » en grec. Ainsi, nous parlons d’un micro-scope pour désigner l’outil qui nous permet de voir le tout petit; d’un téle-scope qui nous permet de voir très loin; d’un péri-scope qui permet au commandant de sous-marin de regarder autour de lui; d’un endo-scope pour regarder à l’intérieur du corps humain.

La petite préposition épi, en grec, veut dire « au-dessus ».  Donc, l’épiscopos, c’est celui qui regarde d’en haut, littéralement, un « sur-veillant », un « super-viseur. » De là vient son utilisation dans le monde grec profane pour désigner les hauts fonctionnaires, les gérants qui doivent, en observant toute chose à partir de leur poste de haute responsabilité, s’assurer que tout est fait dans l’ordre.

Dans notre monde d’aujourd’hui, beaucoup de gens – même des gens très chrétiens, peut-être même certains prêtres et évêques – comprennent ainsi la tâche épiscopale : gérer l’Église, surveiller le fonctionnement du diocèse et des paroisses, assurer qu’on suive les lois et les règles édictées par Rome, veiller à l’orthodoxie des prédicateurs et des catéchètes, aux rubriques de la liturgie et à la fidélité des prêtres.

Et c’est vrai : la tâche d’un évêque comprend une bonne part de gestion – gestion des ressources humaines, gestion des ressources économiques, gestion des priorités pastorales, gestion de son temps, et j’en passe…

Mais si l’on réduit la tâche d’un évêque à cette dimension purement fonctionnelle et technique, on risque de passer à côté de ce qui fait l’essence de l’épiscopat. Je crois qu’un regard plus attentif à l’utilisation des mots épiscopos, épiscopé et episkeptomai dans le Nouveau Testament nous aidera à mieux cerner cette essence.

Pour les premiers chrétiens, celui qui exerce l’épiscopé, c’est d’abord Dieu. Oui, Dieu regarde d’en haut, il observe les humains. Mais son regard est rempli d’amour, son regard se fait contemplation de l’être humain, compassion pour ses enfants, commisération pour ses douleurs. Dieu ne regarde pas de loin, il s’approche et il visite. C’est ainsi que, dans le Nouveau Testament, le mot épisocopé est teinté de cette dimension de visite et de rencontre.

À la naissance de Jean le Baptiste, son père Zacharie loue Dieu par un long cantique qui commence avec ces mots mémorables : Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui visite et rachète son peuple. C’est justement le verbe grec episkeptomai qu’on traduit ici par le verbe français « visiter ». Dieu exerce son épiscopat en visitant son peuple pour le racheter.

La prophétie de Zacharie est réalisée lorsque Jésus ressuscite le fils de la veuve de Naïm. Tout le peuple l’acclame en disant, « Dieu a visité son peuple! » Encore ici, il s’agit du verbe episkeptomai. En Jésus, Dieu se fait épiscope de son peuple.

Saint Pierre, dans sa belle méditation sur le Christ souffrant en croix, culmine avec ce même mot. Permettez-moi de vous lire ce passage, si riche et signifiant :

 

C’est pour vous que le Christ a souffert…Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien (l’épiscopos) de vos âmes.

 

Ce n’est pas insignifiant que Pierre lie les titres de berger et d’épiscope : les deux manifestent l’action salvifique de Dieu en notre faveur, en la personne de Jésus. Les deux titres évoquent la proximité, la compassion, le souci pour l’autre.

 

Faisons un autre pas. Jésus a voulu associer les membres de son Église à ce ministère de la visitation. D’ailleurs, il en fait une règle pour chacun et chacune de nous, lorsqu’il dit, « J’étais malade… en prison… et vous m’avez visité… » Encore ici, le verbe est episkeptomai. Exercer l’épiscopat, pour les disciples de Jésus, c’est visiter les pauvres, les abandonnés, les laissés-pour-compte. N’est-ce pas en ce sens que le pape François nous exhorte à être une Église en sortie, une Église qui va aux périphéries?

 

Enfin, le Christ confie à quelques-uns de ses disciples une mission particulière : celle d’exercer le ministère de la visitation auprès des communautés chrétiennes, en son nom. Déjà, dans les Actes des apôtres, saint Pierre se sert de cette expression en parlant de la tournée qu’il planifie faire des communautés déjà existantes. Il va les visiter, exercer l’épiskopé pour eux.

Ainsi, mon frère Guy, tu es appelé à ce noble ministère. Par le sacrement de l’ordre, ce soir, Dieu te configure – grâce à l’action de l’Esprit – à son Fils Jésus, afin que tu incarnes pour l’Église de Rouyn-Noranda la compassion active et salvifique du Père.

Devant cet appel, tu pourrais te sentir très petit, comme Jérémie dans la première lecture. Tu as toutes sortes de raisons pour te sentir indigne de cette mission. Jérémie se disait trop jeune. Bien avant lui, Abraham s’était dit trop vieux. Devant la mission que Dieu voulait leur confier, Moïse opposait son bégaiement; Isaïe, son impureté; Marie, sa virginité; Pierre, son péché. Toi, tu pourrais opposer ton origine lointaine dans les Cantons de l’est (quoique les gens de Rouyn-Noranda te le pardonneront facilement, j’en suis certain…) Mais, comme tant d’autres à qui cette mission a été confiée, les moments viendront où tu trouveras la tâche d’évêque lourde, ingrate, stérile, épuisante…

Dans ces moments, Guy, rappelle-toi cette première lecture d’aujourd’hui. Face à la crainte de Jérémie, Dieu n’a qu’une solution : mettre ses propres mots dans la bouche de son prophète. Voilà la seule issue, la seule direction qui peut te porter vers la lumière et te faire redécouvrir la joie. Dieu met sa Parole dans ta bouche. Il veut que tu la mâches, que tu la goûtes, que tu l’avales, que tu la digères. Elle te nourrira et te donnera force, courage, sagesse et lumière. Oui, c’est en méditant et en priant cette parole que tu deviendras un « visiteur » comme Jésus. Seul l’accueil quotidien de la Parole vivante de Dieu peut te rendre capable de relever le défi qui t’est présenté aujourd’hui dans cette ordination, et d’en recevoir toutes les grâces.

Méditons donc ensemble cette belle page d’Évangile que tu as choisie pour ce soir. Elle nous montre comment Jésus visite les siens. Elle sera pour toi, comme pour moi et les autres évêques ici présents, une leçon à retenir et à appliquer.

Quand Jésus s’approche des siens, c’est sans tapage, sans spectacle. Plutôt, il observe ses apôtres qui se démènent sans succès. Il reconnaît leurs espoirs, mais aussi leurs échecs. Il ne commence pas par donner de leçon, mais en leur posant une question : Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger? Il s’inquiète d’eux, il se préoccupe de leur manque de nourriture.

Tu arrives dans un diocèse qui ressemble à tous les autres, mais qui ne ressemble à aucun. Comme Jésus, tu auras à observer avec compassion, à poser des questions, à écouter les gens, à découvrir leurs espoirs et leurs déceptions afin de les connaître. Quand Jésus visite, il commence par s’approcher, par écouter. Fais comme lui.

Ensuite, Jésus leur lance un conseil, accompagné d’une parole d’encouragement : Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez! De même, la parole de l’évêque doit d’abord être une parole qui relève, qui relance et qui soutient. À force de chercher à corriger les erreurs, on écrase les gens; mais en les aidant à découvrir de nouvelles façons de faire, en leur donnant de l’espérance, nous les relevons.

De même, tu devras trouver le mot qui éveille, le geste qui guérit, la façon de faire qui élève et renouvelle. Si tu sèmes l’espérance et la joie sur ta route, tu peux être certain que tu exerces l’épiskopé à la manière de Jésus.

Arrivés auprès de Jésus, les apôtres se rendent compte qu’il leur a préparé un petit déjeuner. Dans ce geste, nous reconnaissons le Christ serviteur qui se donne pour ses amis. J’ai souligné plus haut comment la visitation de Dieu est liée à la rédemption qu’il effectue. C’est parce qu’il est l’agneau immolé que le Christ peut vraiment être notre bon berger.

Tu as été ordonné diacre un jour, Guy. N’oublie jamais cette configuration au Christ serviteur. L’ordination à l’épiscopat n’efface pas ton ordination diaconale ; elle est plutôt construite sur le diaconat comme sur une fondation sûre. Le Christ nous l’a dit : « Qui veut être premier parmi vous, qu’il se fasse le dernier. Car je suis venu parmi vous non pas pour être servi, mais pour servir. » Le don de soi, jusqu’au prix de la vie, voilà la forme que prend l’amour dans la vie d’un évêque. Que l’Esprit te configure au Christ de plus en plus, afin que ton ministère prenne cette dimension cruciforme qui donnera sens à ton ministère.

Continuons. Le Christ demande aux apôtres « Apportez donc de ce poisson que vous venez de prendre. » C’est un peu surprenant, n’est-ce pas? Pourquoi a-t-il besoin de leur poisson, il a déjà tout préparé? Mais justement, il ne veut pas tout faire par lui-même. Il veut nous associer à son œuvre. Il veut que d’autres s’engagent à la mission qui est d’abord la sienne.

En acceptant d’être ordonné aujourd’hui, Guy, tu viens mettre un peu de ton poisson dans le plat préparé par Jésus. Il est heureux que tu acceptes ainsi de collaborer à son œuvre. Comme lui, n’ait pas peur d’inviter les autres aussi à venir ajouter leurs poissons à la chaudrée que tu prépares. Elle ne sera pas tout à fait comme tu l’avais prévue, mais je te garantis qu’elle aura meilleur goût du fait que chacun, chacune y aura mis du sien. Oui, éveille les dons et les charismes des autres, invite-les à s’engager à la mission, accueille leurs idées, leurs énergies, leurs questions et leurs façons de faire. Ensemble, avec le Seigneur, tu pourras faire des merveilles.

Enfin, Jésus invite ses apôtres : « Venez manger ». Il prend le pain et le leur donne; et de même pour le poisson. Ces mots, ces gestes évoquent pour nous la merveille qu’est l’Eucharistie, dans laquelle Jésus se fait lui-même notre nourriture. Cette Eucharistie est source et somment de la vie ET de la mission de l’Église.

Je t’invite à être, au cœur de cette Église locale, l’homme de l’Eucharistie, qui rassemble, nourrit et envoie le peuple au nom du Christ. Là se vérifiera la qualité de ton ministère, là tu gouteras le fruit le plus savoureux de ton épiscopé. Telle est mon expérience à moi.  

Guy, en disant « oui » au Seigneur aujourd’hui, tu acceptes de t’engager dans une œuvre de beauté et de bonté, celle d’être auprès de ce peuple la visitation de Dieu et de son fils, Jésus. Que l’Esprit t’aide à accueillir pleinement ce don et cette mission, et qu’il t’accompagne dans sa réalisation au jour le jour.

Mes frères, mes sœurs, prenons ensemble un moment pour invoquer cet Esprit en écoutant un chant qui, pour nous, sera notre prière pour notre nouvel évêque, Guy, et pour tout le Peuple de Dieu à Rouyn-Noranda.

dimanche 28 juin 2020

La messe déconfinée (5) - Textes d'appui


En prévision du 49e congrès eucharistique international tenu à Québec en 2008, un Document théologique de base avait été préparé sous la direction du Cardinal Marc Ouellet. Durant le congrès, près de 400 délégués ont participé à des ateliers de réflexion dont les considérations, reprises par un comité spécial, ont donné naissance à un document intitulé Réflexion et de recommandations. Voici quelques extraits de ces deux documents.


Document théologique de base

  • L'Église, partenaire du Seigneur ressuscité, vit du don de Dieu et s'unit à Jésus Christ, souverain prêtre, dans la communication de ce don à l'humanité. Le monde bénéficie de la charité des chrétiens et aussi du culte de l'Église qui glorifie Dieu en intercédant pour le monde. Qu'elle dialogue avec Dieu dans le culte ou avec le monde dans la mission, l'Église ne vit pas pour elle-même, mais pour celui qui est venu "pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance." 
  • Du don accompli « pour que le monde ait la vie », l'Église est le témoin au milieu des hommes. L’eucharistie est alors un constant défi posé à la qualité de vie et d’amour des disciples du Christ. Qu'ai-je fait de mon frère? Qu’avez-vous fait de moi? « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais un étranger, j’étais nu, malade, en prison » (cf. Mt 25, 31-46). Ce qu’ils célèbrent est-il compatible avec leurs relations sociales, familiales, interraciales et interethniques ou avec la vie politique et économique à laquelle ils participent? Le mémorial de ce qu’ils considèrent comme l'événement central de l'histoire de l'humanité vient dévoiler leur inconséquence chaque fois qu’ils tolèrent quelque forme de misère, d'injustice, de violence, d'exploitation, de racisme et de privation de liberté. 
  • L'eucharistie convoque les chrétiens à participer à la restauration continue de la condition humaine et de la situation du monde, à défaut de quoi ils sont sérieusement invités à la conversion pour vivre l’appel de l’Évangile : « laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande» (Mt 5, 23-24).


Réflexion et recommandations

  • Il faut favoriser le développement d’une spiritualité eucharistique chez tous les baptisés. Cette spiritualité relie l’action liturgique de la messe — prolongée dans le culte eucharistique hors de la messe — à l’engagement chrétien au coeur du monde. Elle est tout entière axée sur le mystère pascal accompli une fois pour toutes en Jésus et continuellement actualisée dans l’Église de tous les temps.
  • Une juste spiritualité eucharistique se vérifie lorsque la célébration de la messe engage la pleine participation de tous les baptisés —participation intérieure autant qu’extérieure— et lorsque le désir de rendre gloire à Dieu se conjugue à une vive conscience du monde qu’il nous invite à transformer.
  • Pour que nos célébrations et notre prière soient vraies, elles doivent nous envoyer en mission vers le monde en inspirant, nourrissant et soutenant notre engagement chrétien au coeur du monde.

La messe déconfinée (4) - Textes d'appui

La XIe assemblée générale du Synode des évêques s’est tenue à Rome en 2005 sous le thème : « L’eucharistie, source et sommet de la vie et de la mission de l’Église. » Dans les mois suivants, inspiré par les réflexions et les recommandations exprimées durant le synode, le pape Benoît XVI a rédigé une exhortation post-synodale intitulée « Le sacrement de la charité ». En voici quelques extraits.

  • Nous ne pouvons garder pour nous l'amour que nous célébrons dans ce Sacrement. Il demande de par sa nature d'être communiqué à tous. Ce dont le monde a besoin, c'est de l'amour de Dieu, c'est de rencontrer le Christ et de croire en lui. C'est pourquoi l'Eucharistie n'est pas seulement source et sommet de la vie de l'Église; elle est aussi source et sommet de sa mission: « Une Église authentiquement eucharistique est une Église missionnaire »… Au cours de la dernière Cène, Jésus confie à ses disciples le Sacrement qui actualise le sacrifice qu'il a fait de lui-même par obéissance au Père pour notre salut à tous. Nous ne pouvons nous approcher de la Table eucharistique sans nous laisser entraîner dans le mouvement de la mission qui, prenant naissance dans le Cœur même de Dieu, veut rejoindre tous les hommes. La tension missionnaire est donc constitutive de la forme eucharistique de l'existence chrétienne. (no 84)
  • L'émerveillement pour le don que Dieu nous a fait dans le Christ imprime à notre existence un dynamisme nouveau qui nous engage à être témoins de son amour. Nous devenons témoins lorsque, par nos actions, nos paroles et nos comportements, un Autre transparaît et se communique. (no 85)
  • Toute célébration eucharistique actualise sacramentellement le don que Jésus a fait de sa vie sur la croix pour nous et pour le monde entier. En même temps, dans l'Eucharistie, Jésus fait de nous des témoins de la compassion de Dieu pour chacun de nos frères et sœurs… Par conséquent, nos communautés, quand elles célèbrent l'Eucharistie, doivent prendre toujours plus conscience que le sacrifice du Christ est pour tous, et que l'Eucharistie presse alors toute personne qui croit en Lui à se faire « pain rompu » pour les autres et donc à s'engager pour un monde plus juste et plus fraternel. (no 88)
  • C'est précisément en vertu du Mystère que nous célébrons qu'il nous faut dénoncer les situations qui sont en opposition avec la dignité de l'homme, pour lequel le Christ a versé son sang, affirmant ainsi la haute valeur de toute personne. (no 89)
  • Enfin, pour développer une spiritualité eucharistique profonde, capable aussi de peser significativement sur le tissu social, il est nécessaire que le peuple chrétien, qui rend grâce par l'Eucharistie, ait conscience de le faire au nom de la création tout entière, aspirant ainsi à la sanctification du monde et travaillant intensément à cette fin. (no 92)

samedi 6 juin 2020

La mort de George Floyd, les manifestations anti-racistes et un évêque qui vient de mourir

Depuis deux semaines, je suis collé aux nouvelles américaines qui rapportent les nombreuses manifestations anti-racistes suite à la mort violente d’un enième noir aux mains de la police. J’ai été choqué devant la vidéo de la mort de George Floyd et l’insoucience inhumaine du policier qui l’a provoquée. J’ai été touché par les abondantes expressions de solidarité et d’engagement en faveur de l’égale dignité de tous les humains. J’ai été éduqué par des réflexions sobres, profondes et éclairantes sur le phénomène du racisme. J’ai été révolté par le manque de respect total des anarchistes et des casseurs qui profitent des manifestations pour détruire, brûler et voler. J’ai été scandalisé par l’utilisation de la Bible de la part d’un chef de gouvernement qui cache son insouciance pour la souffrance des autres derrière sa pseudo-religiosité.

Ce matin, j’ai enfin décidé d’écrire ce petit billet. Pourquoi aujourd’hui? Parce je viens d’apprendre qu’un évêque américain noir que j’ai eu le privilège de connaître est décédé du cancer durant la nuit. Il s’appelait George, lui aussi, George Murray. Évêque de Youngston, Ohio, il avait été président du comité anti-raciste des évêques américains et secrétaire de leur conférence nationale. J’avais appris à le connaître lorsque j’étais président de la CÉCC. Nous étions devenus un peu amis. J’ai passé une fin de semaine à New York avec lui : nous avons visité des musées, écouté des concerts, flâné dans les rues. Nous avons beaucoup parlé. Homme profondément humain, radicalement chrétien, il m’avait impressionné par sa sagesse, sa foi, sa vision de l’Église et du monde.

Ce matin, je suis allé relire quelques textes de conférences qu’il a données sur la question du racisme. En 2018, il a prononcé un discours où il invitait l’Église américaine à s’engager dans la transformation des attitudes de son pays en commençant par une transformation intérieure des attitudes personnelles des catholiques eux-mêmes. Il encourageait chacun et chacune à s’engager dans la lutte contre le racisme en commençant d’abord par tisser des relations individuelles avec des gens d’autres races, d’autres ethnies, d’autres religions. J’ai retenu une phrase que je propose à la méditation de tous fidèles de notre diocèse et de toute personne de bonne volonté qui me lira :

« Faites l’effort de connaître quelqu’un d’une autre race, 
d’écouter leur histoire, 
de marcher dans leurs souliers... 
Ensuite, servez-vous des dons que vous avez reçu 
pour créer des chances 
pour les gens qui vivent aux marges de notre société. »

Nous pouvons nous sentir impuissants devant un phénomène aussi répandu et systémique que le racisme. Nous pouvons nous demander à quoi sert de participer à une manifestation ou à signer une pétition. Nous pouvons même être insouciant devant ce qui se passe, convaincus que le racisme n’existe pas chez nous.

Je vous invite à suivre le conseil de Mgr Murray. Apprenez à connaître quelqu’un d’une autre race ou d’une autre religion, prenez le temps de l’écouter, demandez-lui de vous parler de ses expériences de racisme et d’injustice, ouvrez votre cœur à la réalité des autres. Et je dis cela non seulement pour les gens de race blanche, dont je suis, mais pour toute personne qui désire construire une société plus juste et plus fraternelle.

En écoutant les voix des manifestants, j’entends les échos du peuple juif qui criait vers Dieu avec des mots que nous prions encore aujourd’hui à l’Église :

Combien de temps les impies, Seigneur, 
combien de temps vont-ils triompher ? 
C'est ton peuple, Seigneur, qu'ils piétinent, 
et ton domaine qu'ils écrasent ; 
ils massacrent la veuve et l'étranger, 
ils assassinent l'orphelin... 
On s'attaque à la vie de l'innocent, 
le juste que l'on tue est déclaré coupable. 
(Psaume 93)

Mais je n’entends pas seulement un cri, je vois également un «signe des temps» dans ces manifestations qui s’étendent à travers le monde. J’y vois l’œuvre de l’Esprit-Saint qui vient «renouveler la face de la terre» (Psaume 103) et du Christ ressuscité qui vient faire «toutes choses nouvelles» (Apocalypse 21). Engageons-nous aujourd’hui dans l’œuvre de Dieu.

Prions pour la conversion des cœurs, pour la fraternité entre les peuples, pour la justice et pour la paix. Mais posons aussi un petit geste qui pourrait faire une grande différence : allons à la rencontre de nos frères et de nos sœurs qui nous semblent si différents. Nous découvrirons que nous sommes tous les enfants du Bon Dieu!

+ Paul-André Durocher 
6 juin 2020