mercredi 28 décembre 2016

Lettre à Michèle

Je viens de lire la chronique de Michèle Ouimet intitulée "Lettre à Dieu" (La Presse+, mercredi 28 décembre). Elle y affirme ne pas croire en Dieu à cause de la souffrance injuste qui sévit à Alep. (Vous pouvez consulter sa chronique en cliquant ici: Lettre à Dieu. La question qu'elle pose est universelle, et je crois qu'elle doit hanter (devrait hanter) toute personne qui se dit croyante. J'ai donc pensé rédiger une "Lettre à Michèle" qui pourrait nourrir la réflexion de toute personne qui s'arrête à ce blogue...


Lettre à Michèle

Michèle, tu ne me fatigues pas, au contraire, je trouve ta lettre profondément humaine et signifiante. Comme toi, j'ai connu le catéchisme gris. Comme toi, j'ai appris à dire que Dieu est infiniment bon, infiniment aimable et infiniment parfait. Et comme toi, à un moment donné, je me suis rendu compte que ça ne tenait pas. 

Jeune adolescent, j'écoutais une émission à la CBC, Front Page Challengeoù le dramaturge Lister Sinclair justifiait souvent son athéisme -- et attaquait la foi des invités croyants -- en demandant comment Dieu aurait pu permettre le massacre de six millions de Juifs par les Nazis. Jeune adulte, j'ai été ébranlé par Dostoïevski lorsque, au sujet de la souffrance des enfants innocents, il met sur les lèvres d'Ivan Karamazov ces mots : « Si les larmes des enfants sont indispensables pour parfaire la somme de douleur qui sert de rançon à la Vérité, j'affirme catégoriquement que celle-ci ne mérite pas d'être payée un tel prix! » Évêque, j'ai visité Haïti après le séisme, Gaza en pleine tourmente, la plaine de la Bekaa avec ses milliers de réfugiés syriens. Confronté à la souffrance horriblement injuste de tant d'hommes et de femmes, d'enfants et de vieillards, je me suis souvent retrouvé sans parole, muet devant les questions surgissaient...

Pourtant, je demeure croyant. Comme toi, j'ai arrêté de croire dans le Dieu de mon enfance, un hybride du Père Noël et de Superman. Mais j'ai continué à croire que ce monde est entouré d'un mystère qui me dépasse. J'ai surtout continué à croire en Jésus de Nazareth, qui n'a jamais expliqué pourquoi il y a de la souffrance dans le monde, mais qui s'est fait tout proche des victimes de la souffrance, qui a tout fait pour en guérir quelques-uns, et qui a lui-même été victime d'une souffrance cruelle et profondément injuste. J'étais étonné par sa fidélité à ce mystère qu'il nommait « Père ». Et je me suis rendu compte que le « Père » de Jésus ne correspondait pas tout à fait avec le Dieu de mon enfance.

En autres mots, j'ai perdu « une » foi... pour retrouver la foi. Si j'essaie de reconnaître des traces de Dieu dans l'horreur d'Alep, je les perçois dans ces médecins qui, justement, n'ont jamais abandonné leurs blessés, même au prix de leur propre vie. Je les perçois dans ces mères et ces pères de là-bas qui ont tout fait pour protéger leurs enfants et leur donner un peu d'espérance. Je les perçois dans hommes et ces femmes d'ici qui, incapables de changer la situation en Syrie, ont cherché à changer la situation chez nous en créant des foyers d'accueil pour les réfugiés de cette tragédie. Je les perçois même dans ces lecteurs et lectrices qui, en dépit de l'horreur et de leur impuissance, continuent à s'informer, à se laisser toucher, à se révolter -- comme toi -- devant cette situation qui révèle à l'humanité sa propre inhumanité. Et enfin, je crois en un Dieu qui souffre avec ces innocents, un Dieu qui se fait impuissant et petit... tout comme il l'avait fait à Bethléem il y a 2000 ans.

Je ne cherche pas à te convertir, Michèle. Mais je voudrais que tu saches qu'il y a des croyants et des croyantes qui, tout en partageant ton rejet de croyances enfantines, continuent à croire, autrement.


Paul-André Durocher, archevêque de Gatineau

mardi 23 août 2016

Réponse à M. Roch Cholette, partie II

M. Roch Cholette, animateur de radio à Gatineau, ne s’est pas offusqué simplement du fait que j’ai pris la parole lors d’un ralliement citoyen. (J’ai répondu ici à sa préoccupation.) Il n’a pas accueilli favorablement mes propos appuyant ce ralliement contre un nouveau projet d’oléoduc dans notre raison.

Je regrette qu’il n’ait pas identifié quel élément de mon discours l’a irrité. Est-ce la phrase où j’ai affirmé que l’accès à l’eau potable est un droit fondamental dans notre monde? Est-ce le passage où j’ai félicité les marcheurs pour leur engagement citoyen? Est-ce ma suggestion que nos politiciens doivent promouvoir le bien commun, la santé de tous et le respect pour la terre? Ou bien est-ce mon plaidoyer pour que la voix des habitants locaux soit écoutée lors de prises de décisions qui les affecteront, eux et leurs enfants?

De fait, à écouter la chronique M. Cholette, on ne peut pas conclure qu’il a lu mon texte, qui pourtant est disponible ici. On reste avec l’impression qu’il appuie ce projet d’oléoduc et que toute position contraire à la sienne doit simplement être balayée du revers de la main.

Pour justifier ses propos, M. Cholette essaie d’infirmer ma prise de parole en se demandant combien de paroisses se chauffent au mazout. Il adopte la même tactique en rappelant que Mgr Ébacher s’était opposé au projet du Casino de Gatineau alors que, selon M. Cholette, les paroisses se finançaient par le moyen des bingos. D’abord, quelques faits : au fil des années, beaucoup de paroisses sont passées du charbon au mazout, puis du mazout au gaz naturel. Aujourd’hui, des paroisses étudient et optent pour des solutions encore plus respectueuses de l’environnement : thermo-pompes ou granules de bois. De même pour le bingo : si à un moment donné il s’avérait d’une forme populaire de prélèvement de fonds pour les paroisses du Québec (comme, d’ailleurs, pour de nombreuses œuvres communautaires), tel n’est plus le cas. Aucune paroisse du diocèse de Gatineau ne se sert du bingo pour cueillir des fonds.

Mais même si toutes les paroisses chauffaient au mazout et organisaient des bingos mensuels, l’argument de M. Cholette manque la cible. Mgr Ébacher n’a jamais dit que le jeu en soi était immoral, pas plus que je n’ai affirmé que l’utilisation du pétrole en soi est une menace pour l’environnement. Le problème se présente lorsqu’on abuse d’une chose qui, en petite dose, est tout à fait bénigne.

Il n’y a pas de problème à prendre un bol de crème glacée pour dessert. Mais si j’en consomme deux litres pour dessert, j’ai un sérieux problème. De même y a-t-il un monde de différence entre une soirée de bingo où je peux dépenser cinquante dollars maximums, et une soirée au casino où je peux en brûler des milliers.

Venons-en au pétrole. L’utilisation du pétrole en soi n’est pas problématique. Mais sa surconsommation est en train de détruire notre demeure commune. Le gouvernement canadien ne peut pas atteindre les objectifs qu’il s’est fixés au COP 21 à Paris tout en permettant l’exploitation illimitée des sables bitumineux, ce que favorise le projet d’un nouvel oléoduc dans l’Outaouais. Il faut que nos bottines suivent nos babines.

En se moquant des bingos d’antan ou des quelques paroisses qui n’ont pas encore réussi à s’affranchir du mazout, M. Cholette ne favorise pas un dialogue sérieux sur cet enjeu crucial pour notre avenir. Mais peut-être un dialogue sérieux serait-il moins vendeur pour son poste de radio.


J’invite mes lectrices et lecteurs à bien s’informer sur cette question, à écouter les arguments pour et contre ce projet d’oléoduc et à tirer leurs propres conclusions. Voilà ce que j’ai voulu faire en participant à la manifestation de samedi dernier.

Réponse à M. Roch Cholette, partie I

M. Roch Cholette est animateur de radio ici à Gatineau. Ce matin, il a déploré le fait que j’ai pris la parole lors d’un rassemblement de citoyens qui protestaient le projet d’un nouvel oléoduc dans la région.

Je ne sais pas si M. Cholette croit personnellement tout ce qu’il dit à la radio. Il joue bien le rôle de provocateur, ce qui attire la clientèle et les dollars à son poste. Tout cela est de bonne guerre. Malheureusement, les propos qu’il véhicule sont souvent gobés par des gens peu informés, ce qui peut parfois empêcher un sain dialogue sur des questions importantes.

M. Cholette s’est offusqué de ma prise de parole parce que, selon lui, elle enfreint le principe de la séparation de l’État et de l’Église. Si je comprends bien sa position, il ne faudrait jamais qu’une personne s’exprime publiquement sur un sujet d’actualité à résonnance politique en faisant appel à ses principes religieux. La question qu’il soulève est importante, voire essentielle, si nous voulons progresser dans le vivre ensemble nécessaire à toute société laïque et pluraliste.

Dans le fond, il s’agit de définir la liberté religieuse. Celle-ci se limite-t-elle au simple exercice d’un culte, ou inclut-elle la possibilité de parler de sa foi en public, d’interpeller les acteurs sociaux en fonction de principes inspirés par la foi et de s’engager ouvertement au nom de sa foi dans la construction d’une société ouverte à ces principes?

Je donne un exemple. L’Église catholique est contre la traite des humains. Ai-je le droit, dans une société laïque, de dire pourquoi je m’oppose à cette pratique? Ai-je le droit d’interpeller les politiciens pour qu’ils érigent des lois pour l’empêcher? Est-ce que je peux m’engager comme croyant ou croyante dans la construction d’une société qui refuse toute forme d’esclavage? Si l’on me refuse ce droit, peut-on en même temps m’affirmer que je suis libre de pratiquer ma religion? Je ne le crois pas.

La séparation de l’Église et de l’État veut garantir que le gouvernement n’impose pas de loi qui limiterait la liberté religieuse ou favoriserait une religion aux dépens d’une autre. D’autre part, elle veut garantir qu’aucune religion n’impose sa vision à l’ensemble de la population en réduisant l’État au rôle d’exécuteur de sa puissance dominatrice. Autrefois, il est vrai, le Québec s’est trouvé quelque peu dans la deuxième situation alors que certains gouvernements cherchaient l’assentiment des évêques catholiques avant de passer une loi. Je regrette personnellement qu’il en fût ainsi dans le passé, et je n’ai aucun désir de retourner à cette pratique. Je ne connais aucun évêque québécois qui couve un tel désir. Je crois d’ailleurs que la société québécoise ne l’accepterait jamais. Tant mieux!


Alors, pourquoi M. Cholette s’offusque-t-il qu’un citoyen comme moi prenne la parole librement pour exposer ses convictions personnelles? De quoi a-t-il peur? Je ne lui demande pas d’être d’accord avec moi. Je lui demande simplement de respecter mon droit de pratiquer ma religion et ma liberté de parole… comme je respecte la sienne.

samedi 20 août 2016

Intervention au ralliement de Stop Oléoduc Outaouais

À titre d’archevêque de Gatineau, je suis responsable d’une cinquante de paroisses qui s’étendent le long de la rivière des Outaouais de Fassett et Montebello à l’est jusqu’à Aylmer et Luskville à l’ouest. Vous comprendrez que je suis de près les enjeux liés au bien-être de ces communautés. C’est pourquoi je tenais à être ici aujourd’hui pour ajouter ma voix aux vôtres et réclamer de nos leaders politiques des décisions qui promeuvent le bien commun, la santé des individus et le respect pour notre demeure commune, la terre.

Lors de mon arrivée dans la région il y a cinq ans, l’archidiocèse de Gatineau se préparait à célébrer son 50e anniversaire. Trois grands pèlerinages marquèrent cette fête : une le long de la rivière de la Petite Nation, l’autre le long de la Lièvre et la troisième le long de la Gatineau. Chaque jour, une centaine de personnes endossaient leurs souliers de marche et prenaient en main leurs bâtons de pèlerins pour parcourir une vingtaine de kilomètres. Au fil des trois semaines, une vraie communauté humaine s’est formée, axée sur le respect des différences, l’ouverture à l’autre et la découverte de l’environnement humain et physique que nous traversions. J’ai pu me joindre aux marcheurs à quelques reprises et revivre un peu la grande marche de Compostelle que j’avais faite en 2007. Vous qui venez de marcher le long de la rivière des Outaouais, vous avez vécu une expérience semblable de solidarité, de fraternité et de découverte. On dirait que de marcher ainsi nous faire redécouvrir l’essentiel qui se trouve dans la simplicité, l’ouverture et le respect. Je vous en félicite. Les valeurs dont vous témoignez par cette marche sont des valeurs qui devraient marquer notre vivre ensemble. Ce sont des valeurs qui sous-tendent la réflexion de l’Église catholique sur la crise écologique depuis une cinquantaine d’années.

Ainsi, déjà en 1970, le Pape Paul VI s’adressait à la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture avec ces mots : « La mise en œuvre des possibilités techniques à un rythme accéléré ne va pas sans retentir dangereusement sur l’équilibre de notre milieu naturel, et la détérioration progressive de l’environnement risque, sous l’effet des retombées de la civilisation industrielle, de conduire à une véritable catastrophe écologique... »

Vingt ans plus tard, en 1990, le Pape Jean-Paul II livrait son message annuel pour la paix. Il y affirmait sans ambages que la crise écologique est un problème moral. Il écrivait : « Les intérêts économiques l’emportent sur le bien des personnes, sinon même sur celui de populations entières. Dans ces cas, la pollution ou la destruction de l’environnement sont le résultat d’une vision réductrice et antinaturelle qui dénote parfois un véritable mépris de l’être humain. »

Il y a cinq ans, le Pape Benoît XVI s’adressait au Bundestag, le parlement allemand. Dans ce contexte, il a constaté : « Les jeunes se rendent compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans nos relations à la nature; que la matière n’est pas seulement un matériel pour notre faire, mais que la terre elle-même porte en elle sa propre dignité et que nous devons suivre ses indications... L’importance de l’écologie est désormais indiscutée. Nous devons écouter le langage de la nature et y répondre avec cohérence. »

L’an dernier, le Pape François a publié le document pontifical le plus important sur la question écologique, une lettre encyclique intitulée Laudato Si', sur la sauvegarde de la maison commune. Ce texte magistral fait le point sur la réalité écologique de notre planète et analyse la crise qui nous confronte. Il présente quelques principes qui devraient diriger notre réflexion et notre action en ce domaine. Permettez-moi d’en citer trois.

Dans la première citation, le Pape François constate un fait qui nous concerne ici, aujourd'hui : « L’eau potable et pure représente une question de première importance, parce qu’elle est indispensable pour la vie humaine comme pour soutenir les écosystèmes terrestres et aquatiques. Les sources d’eau douce approvisionnent des secteurs sanitaires, agricoles et de la pêche ainsi qu’industriels... Les eaux souterraines en beaucoup d’endroits sont menacées par la pollution que provoquent certaines activités extractives, agricoles et industrielles. »

Dans la seconde citation, il propose des principes pour la prise de décision : « Dans toute discussion autour d’une initiative, une série de questions devrait se poser en vue de discerner si elle offrira ou non un véritable développement intégral : Pour quoi? Par quoi? Où? Quand? De quelle manière? Pour qui? Quels sont les risques? À quel coût? Qui paiera les coûts et comment le fera-t-il? Dans ce discernement, certaines questions doivent avoir la priorité. Par exemple, nous savons que l’eau est une ressource limitée et indispensable, et y avoir accès est un droit fondamental qui conditionne l’exercice des autres droits humains. Ceci est indubitable et conditionne toute analyse de l’impact environnemental d’une région. »

Dans la troisième citation, il parle de l’importance d’écouter la voix des citoyens et des citoyennes : « À la table de discussion, les habitants locaux doivent avoir une place privilégiée, eux qui se demandent ce qu’ils veulent pour eux et pour leurs enfants, et qui peuvent considérer les objectifs qui transcendent l’intérêt économique immédiat. Il faut cesser de penser en terme d’“interventions” sur l’environnement, pour élaborer des politiques conçues et discutées par toutes les parties intéressées. »

L'exemple des papes, en particulier du Pape François, me pousse à me tenir avec vous dans la solidarité aujourd'hui et à vous féliciter, vous appuyer et vous encourager. Puisse ma pauvre voix s'ajouter aux milliers de voix qui exigent le respect de la terre. Permettez-moi de finir avec une petite prière composée par le Pape François :


Dieu Tout-Puissant qui es présent dans tout l’univers
et dans la plus petite de tes créatures,
répands sur nous la force de ton amour pour que
nous protégions la vie et la beauté.
Guéris nos vies,
pour que nous soyons des protecteurs du monde
et non des prédateurs,
pour que nous semions la beauté
et non la pollution ni la destruction.
Touche les cœurs
de ceux qui cherchent seulement des profits
aux dépens de la terre et des pauvres.
Apprends-nous à découvrir
la valeur de chaque chose,
à contempler, émerveillés,
à reconnaître que nous sommes profondément unis
à toutes les créatures
sur notre chemin vers ta lumière infinie.
Merci parce que tu es avec nous tous les jours.
Soutiens-nous, nous t’en prions,
dans notre lutte pour la justice, l’amour et la paix. Amen.

lundi 11 avril 2016

Amoris Laetitia - Point de départ

(Version originale d'un article publié aujourd'hui en italien dans l'Osservatore Romano, quotidien du Vatican)


Comme j’avais participé aux deux assemblées synodales sur la famille, j’avais hâte de lire Amoris laetitia. Je voulais voir comment le Pape François reprendrait la relatio synodi et l’ensemble des échanges que nous avions eus en sa présence dans l’aula. Je peux affirmer que la lecture de l’exhortation a provoqué en moi un écho de cette «joie» que le Pape évoque dans son titre. Le plus j’avançais dans ce texte, le plus je me réjouissais de son style sapientiel, personnel et concret. Ce qui, dans la relatio synodi, avait été exprimé de façon sèche ou impersonnelle devenait, dans les mots du Pape, un message élevant, interpellant, encourageant et stimulant. J’ai été particulièrement heureux de découvrir le chapitre 4, une réflexion sur l’amour conjugal qui réussit à marier spiritualité et psychologie dans un langage qui saura rejoindre, j’en suis sûr, les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Le chapitre 8, qui a provoqué le plus de discussion dans mon milieu, présente une réflexion subtile qui invite à l’étude, à l’approfondissement, à la créativité pastorale.

Dans une entrevue accordée à un journal, j’ai affirmé voir dans ce texte le fruit d’un processus synodal réussi. Mais ce n’est pas le fruit ultime. L’exhortation est plus qu’un point d’arrivée, il est aussi un point de départ. Lors de la célébration du 50e anniversaire de la création du Synode des évêques, le Pape François nous a rappelé que «le chemin synodal commence en écoutant le Peuple... continue en écoutant les pasteurs... culmine dans l’écoute de l’Évêque de Rome». Nous entreprenons donc la troisième étape de ce chemin, l’écoute du Pape, qui nous rappelle d’ailleurs dans l’introduction de l’exhortation : «La complexité des thèmes abordés nous a montré la nécessité de continuer à approfondir certaines questions doctrinales, morales, spirituelles et pastorales... Dans chaque pays ou région peuvent être cherchées des solutions plus inculturées, attentives aux traditions et aux défis locaux.» (nos 2-3). C’est pourquoi, si dans un premier temps j’ai lu ce texte à partir de mon expérience de Père synodal, je commence maintenant à le lire comme pasteur d’un diocèse.

Mon diocèse, aux dimensions relativement restreintes, est marqué par la sécularisation croissante de notre société, entraînant le vieillissement de nos paroisses et la diminution de nos ressources financières. Comment accueillir l’exhortation dans ce contexte? Comment répondre aux nombreux défis? Comment assurer que la grande sagesse qui y est déployée rejoigne les couples qui en ont tant besoin?

Le premier défi sera d’assurer la lecture et l’assimilation de l’exhortation par nos prêtres et agentes de pastorale. Heureusement, plusieurs d’entre eux y trouveront la confirmation de l’attitude d’accueil, d’accompagnement et d’inclusion qu’ils pratiquent déjà dans leur ministère paroissial. Ce qui sera nouveau pour nous sera d’avoir à portée de main un texte magistériel qui pose les fondements bibliques, théologiques et psychologiques d’une telle attitude. Nous devrons évaluer nos actions à la lumière des critères présentés par le Pape.

Au-delà de nos attitudes personnelles, il faudra aussi étudier comment animer des communautés mieux capables d’annoncer et de vivre l’Évangile de la famille. Une intuition m’habite : il faudra revoir toutes nos activités pastorales à la lumière de leur impact sur la famille, en lien avec la pastorale familiale. Avec nos ressources limitées, nous pouvons difficilement envisager la mise sur pied de nouveaux projets ou services. Mais nous pouvons ajuster les projets et services existants pour qu’ils soient plus sensibles aux enjeux soulevés par le Synode et entérinés par notre Pape.

Je rends grâce à Dieu pour le chemin synodal parcouru et pour Amoris Laetitia. Je confie à Dieu l’étape que nous entreprenons maintenant. Je lui demande simplement de nous donner d’être assez habités par la joie de l’amour que nous pourrons chanter allègrement tout en marchant.

jeudi 24 mars 2016

Texte de mon homélie à la messe chrismale

Année de faveur, indulgence du Père


Ce soir, en arrivant à la cathédrale, on vous a invité à passer par la Porte de la miséricorde que nous avons désignée pour cette année jubilaire. Depuis le début décembre, plusieurs personnes y sont passées... et nous prévoyons que de nombreux groupes et individus profiteront du printemps et de l’été pour faire cette expérience.

Dans ce cadre, j’entends souvent des questions au sujet de l’indulgence plénière liée à cette démarche. Je dois admettre que c’est un thème avec lequel je suis mal à l’aise. On a si souvent mal compris l’idée de l’indulgence plénière, elle a joué un si grand rôle dans la séparation de l’Église il y a cinq cents ans, que j’aurais parfois le goût qu’on n’en parle plus.

Mais j’ai décidé étudier cette réalité de plus près, surtout à partir des quelques indications que nous donne le Pape François. Je vous partage trois leçons que je tire de mes réflexions.
***
Premièrement, l’indulgence n’est pas une chose, un genre de laissez-passer qu’on gagnerait grâce à certains gestes quasi magiques. L’indulgence n’est pas une chose : elle est une qualité, une qualité qu’on retrouve chez certaines personnes humaines, une qualité qu’on reconnaît de façon éminente en Dieu. Dieu est un Père indulgent qui veut nous faire vivre pleinement, au-delà de nos limites et de nos faiblesses. Il nous donne la vie, il nous relève quand nous tombons, il nous guérit de nos blessures, il nous envoie son Fils pour marcher avec nous, il nous donne son Esprit pour être notre vie. Première leçon : l’indulgence c’est l’amour de Dieu, un amour fidèle, inconditionnel, éternel.
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Deuxièmement, Dieu ne se satisfait pas de nous pardonner nos fautes. C’est déjà beaucoup, énorme même. Mais Dieu veut faire plus pour nous : Dieu veut nous aider à guérir du mal qu’on s’est fait et à réparer le mal qu’on fait aux autres. Dans sa grande miséricorde, il nous pardonne ET il nous aide à réparer le monde. Car lorsqu’on prend conscience du mal qu’on a commis, on se sent responsable des conséquences de ce mal.

Disons que j’étais un joueur de hockey amateur qui m’amusait dans une ligue formée d’amis. Un jour, stressé par mon ouvrage, fatigué par des réparations à la maison, frustré par mon manque de succès au jeu, je me laisse aller un peu et je plaque un bon ami assez durement pour lui casser le nez. Morfondu par mon manque de discipline personnelle, profondément navré d’avoir blessé mon ami, je multiplie les excuses en lui demandant pardon. Et lui de me répondre, «Ça va, je te pardonne, mais emmène-moi à l’hôpital, pour l’amour du ciel!» Ma faute est peut-être pardonnée, mais la conséquence du mal que j’ai fait demeure. Je veux réparer ce mal.
Dans le judaïsme contemporain, une expression s’est répandue depuis quelques décennies : Tikkun Olan — qui, en hébreu, veut dire réparer le monde. Ceux qui suivent ce courant sentent que le Peuple juif a été choisi particulièrement pour cette mission. Je vous suggère que nous, catholiques, devrions aussi apprendre cette belle expression — Tikkun Olan —, car en tant qu’héritiers de l’Alliance nous portons également la responsabilité de réparer le monde.

N’est-ce pas là justement la raison de la venue du Christ parmi nous?
Le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.

Mes amis, nous nous retrouvons ce soir au cœur d’une telle année favorable, une année jubilaire. Et il y encore parmi nous des pauvres, des captifs, des aveugles et des opprimés. Il y a encore un monde à réparer. L’onction qui a consacré Jésus à cette mission nous consacre aussi — car nous avons été consacrés par l’onction du baptême, de la confirmation ou de l’ordre. La mission du Christ est également la nôtre : réparer le monde.

Dieu, dans son indulgence, ne nous laisse pas seuls face à cette responsabilité. Il nous donne sa grâce pour nous aider à y répondre. Il nous donne son Esprit qui nous guérit. Et ce même Esprit nous donne la force d’embrasser cette tâche à deux bras et de nous y engager pleinement. Deuxième leçon : l’indulgence, c’est Dieu qui nous guérit et nous donne la force de réparer le monde avec Jésus.

***
Troisièmement, l’indulgence n’est pas une réalité individuelle, mais communautaire. Les conséquences du mal dans le monde sont trop complexes et enchevêtrées pour être par une personne seule, aussi sainte soit-elle.

Permettez-moi de reprendre mon exemple. Disons que j’avais un fils adolescent qui me regardait jouer. Comment aurait-il réagi devant mon excès de force? Peut-être aurait-il pensé, «Mon père, ça c’est un homme! Je veux être comme lui, ne pas me laisser passer sur le dos, frapper avant d’être frappé!» Mon fils pourrait peut-être justifier sa violence à la vue de la mienne.

Et peut-être ai-je une fille plus jeune, également témoin de l’incident. Peut-être aurait-elle pensé, «Mon père est violent! Ça me fait peur.» Et j’aurais semé la méfiance dans son cœur par mon geste fou.

La violence de mon fils, la méfiance de ma fille, peut-être y ai-je contribué? Pourraient-ils à leur tour blesser leurs amis, emportés par leurs émotions comme moi? Comment réparer ces conséquences de mon geste, conséquences que je ne peux même pas soupçonner?

Seul, je ne le peux pas. C’est pourquoi j’ai besoin des autres pour réparer le monde. Voyez Jésus : dès que son Père le consacre pour la mission, Jésus va se trouver des collaborateurs et des collaboratrices avec lesquels relever le défi. Ainsi est née l’Église, ce grand mouvement d’hommes et de femmes consacrés à la réparation du monde avec le Christ.

Dans sa grande indulgence, Dieu nous unit au Christ et entre nous pour tisser un immense réseau de grâce, de bonté et de sainteté au cœur de notre monde, un réseau qu’on appelle la communion des saints. L’indulgence du Père nous insère dans ce réseau, qui dépasse les limites de ce monde et de ce temps. Ensemble, nous pouvons nous aider les uns les autres à guérir de nos blessures, à discerner avec sagesse, à agir avec courage en réparant le monde. Troisième leçon : l’indulgence, c’est Dieu qui nous donne une multitude de frères et de sœurs pour aller réparer ce monde qui est nôtre.
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Comment conclure? De fait, il n’y a pas de conclusion. C’est pourquoi nous avons mis une affiche sur les deux côtés de notre porte de la miséricorde, pas seulement sur un côté.
  
En entrant dans la cathédrale, l’affiche sur la porte nous invite à venir rencontrer la miséricorde, l’indulgence de Dieu qui se penche sur nous pour donner la vie, nous guérir, nous faire entrer dans la communion des saints.

Et en sortant de la cathédrale, une seconde affiche nous indique le chemin qui nous attend et nous rappelle ces nombreuses œuvres de miséricorde qui nous permettent de réparer le monde. Forts de l’indulgence de Dieu, nous reprenons la route pour aller être, au cœur du monde, des signes vivants de sa miséricorde et de son indulgence. Nous ne concluons pas, nous commençons!

J’ajoute ceci : dans notre diocèse, nous avons identifié une quinzième œuvre de miséricorde à pratiquer d’une façon particulière entre nous. Elle se nomme la valorisation. Nous en avons fait la priorité pastorale de notre diocèse pour cette année. Valoriser un autre, c’est justement l’aider à découvrir qu’il fait partie de ce réseau d’hommes et de femmes consacrés à réparer le monde. Valoriser un autre, c’est lui dire qu’il fait une différence dans notre monde et que sa présence est importante. Valoriser un autre, c’est pratiquer l’indulgence... un peu à la façon de Dieu.



Soyons indulgents comme le Père!