mercredi 30 mai 2012

Au coeur du Mystère

Lire Romains 8, 14-17

La liturgie du dimanche de la Sainte Trinité nous propose un passage de la lettre aux Romains qui résume l’expérience de Saint Paul : dans l’Esprit-Saint, il se découvre fils de Dieu le Père et frère de Jésus. Ces mots, qui peuvent nous sembler un simple cliché, résument pourtant la spécificité de la foi chrétienne, spécificité qui l’empêche d’être assimilée à toute autre religion. En effet, la doctrine de la Trinité – un seul Dieu en trois personnes – est propre au christianisme et le distingue des autres grands monothéismes, le judaïsme et l’islam. Cette doctrine, il faut rappeler, n’est pas le résultat d’une réflexion théorique, mais le fruit d’une expérience vécue. C’est en rencontrant Jésus, en découvrant la force de l’Esprit, que les premiers chrétiens ont appris une nouvelle façon de comprendre la divinité. Ils ont reconnu que Dieu n’était pas solitude, mais communion éternelle. Avant qu’il n’y ait du temps, en dehors de tout temps, Dieu est amour, relation, communauté : trois personnes si unies entre elles qu’elles ne sont qu’un seul Dieu.

Depuis ces jours où les premiers chrétiens firent cette découverte, nous essayons de mieux comprendre ce mystère qui nous dépasse. Au quatrième siècle, le saint évêque Augustin s’est servi de sa compréhension de la psychologie humaine pour méditer la Trinité. Il suggère de voir dans la personne humaine, capable de réfléchir et de choisir, une image de Dieu qui réfléchit en lui-même, faisant jaillir le Verbe, et qui se choisit lui-même, soufflant ainsi l’Esprit.

Au douzième siècle, un théologien nommé Richard de Saint-Victor propose de voir dans la relation amoureuse entre deux personnes humaines une image de la Trinité. Si Dieu est amour, il doit aimer un autre qui est en lui-même : le Fils, le bien-aimé. Et l’amour éternel avec lequel le Père aime le Fils, c’est l’Esprit.

Au vingtième siècle, un moine américain, David Steindl-Rast, voit dans la gratitude une clé de compréhension de la Trinité. En Dieu, un premier se donne; un deuxième reçoit et retourne en action de grâces; un troisième est le don qui, éternellement reçu, est redonné en gratitude. Offrande, Reconnaissance et Don peuvent être les nouveaux noms qui aident à approfondir un ancien mystère.

La légende veut que Saint Patrice, pour expliquer la Trinité aux habitants païens de l’Irlande, leur montrât un trèfle : trois feuilles, pourtant un seul trèfle. Cette image, plus pauvre que celles d’Augustin, de Richard ou de David, nous rappelle la pauvreté de toutes nos images, de toutes nos réflexions alors que nous essayons de sonder le mystère au cœur de la foi chrétienne.

Pour Saint Paul, l’important n’était pas de comprendre, mais de vivre. Si Dieu est communion, nous serons d’autant plus à son image si nous-mêmes, nous vivons la communion avec Dieu et entre nous. Voilà le vrai secret de la Trinité, secret qu’il nous faut apprendre chaque jour, non seulement avec nos intelligences, mais avec nos vies elles-mêmes.

mercredi 23 mai 2012

L'anti-entropie

Lire Galates 5, 15-25
Les scientifiques définissent l'entropie comme l’unité qui permet de mesurer la dégradation d'un système. Les auteurs populaires en tirent un principe : que tout dans le monde se dégrade, tout se désagrège. L'entropie c'est la rouille qui nous ronge, la vieillesse qui nous gagne, le feu qui s'éteint, le temps qui s'enfuit. L'entropie insiste inlassablement que tout finit par finir.
On pourrait parler d'un principe analogue dans la vie spirituelle. Laissé à lui-même, l'être humain se désagrège, il sombre dans l'auto-suffisance et l'égoïsme meurtrier. La communauté humaine se disloque, se divise, se fractionne. L'avenir humain s'assombrit dans une vision de guerres sans fin, d'injustices irréversibles, de crises écologiques et économiques insolubles.
Ce qui étonne dans un tel contexte, ce n'est pas qu'il y ait du mal dans le monde, mais que, malgré ce mal, le monde continue à tourner. Ce n'est pas l'existence des haines et des jalousies qui surprend, mais l'amour qui continue à surgir et à se frayer un chemin. Un autre principe à l'oeuvre, une force plus grande que cette entropie morale que Saint Paul nomme le péché. Cette force plus grande, Saint Paul la nomme Esprit Saint.
Sans l'Esprit, les hommes et les femmes sont emportés par la spirale de la violence et de la haine : tu me crèves l'oeil, je te crève l'oeil, et bientôt le monde entier sera aveugle. Cette spirale maléfique ne peut mener qu'à une pléiade de vices que Paul énumère dans notre texte d'aujourd'hui : libertinage, impureté, débauche, idolâtrie, haine, discorde, jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions, envies, beuveries, ripailles... Voilà l'enfer sur terre, un enfer que trop de gens connaissent malheureusement trop bien.
Jésus-Christ est venu endiguer cet élan fatal, contrer ce mouvement meurtrier. Il est venu lancer au coeur de nos coeurs une nouvelle puissance, un souffle nouveau. Sous l'impulsion de son Esprit, quelque chose de neuf est en train de naître. L'inertie qui nous habite est surmontée, la spirale maléfique est renversée. Une main d'amitié peut alors s'étendre au-dessus des barbelés, une parole de paix peut résonner dans le silence de la haine, un geste de bonté peut réchauffer la froide solitude. Alors peuvent jaillir ces belles vertus que Paul se plaît à nommer : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi.
Nous reconnaissons l'Esprit en nous chaque fois que nous nous surprenons à pardonner, à partager, à prier pour un autre qui ne sait plus prier. L'Esprit nous habite à chacun de ces moments qui éveillent en nous un geste d'amitié, une parole de tendresse, un élan de générosité. L'Esprit nous éveille à un monde fait pour être transformé en beauté, en vérité, en gratitude.
Sommes-nous de cet Esprit? Le choix nous appartient : nous n'avons qu'à ouvrir notre coeur.

mercredi 16 mai 2012

Un paragraphe, un monde...

Lire Éphésiens 4, 1-13

L’extrait de la lettre de Paul aux Éphésiens que la liturgie nous propose en ce dimanche de l’Ascension nous permet d’admirer la subtilité, la complexité et la cohérence de la pensée de ce grand apôtre. Suivons-le dans son argument.

Nous trouvons d’abord aux trois premiers versets une invitation à vivre dans l’unité de l’Esprit : avec humilité, douceur, patience et amour. Dans les trois versets suivants, Paul explique le fondement de foi sur lequel se base cette invitation : en Jésus, nous découvrons un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu qui est Père de tous. Cette unité de la foi nous pousse à construire l’unité dans la communauté chrétienne.

La conséquence de cette vérité, énoncée au verset sept, c’est que le Christ a donné à chacun la grâce nécessaire pour la construction de cette unité.

Mais voici que, dans son argument, Paul change de registre au huitième verset: il cite le psaume 68 pour appuyer son raisonnement : « Monté dans les hauteurs, il a fait des dons aux hommes. » De fait, il ne cite pas le texte lui-même, mais un commentaire sur le texte qui était populaire chez les docteurs de la loi. Ceux-ci y voyaient une référence à Moïse qui était monté au Sinaï et qui était redescendu avec la Loi, la Torah. Mais Paul applique cette référence au Christ, qui est monté au ciel après sa résurrection. Du ciel, il fait des dons à son Église. (Paul en profite pour tirer une autre leçon de ce psaume : si le Christ est monté, il doit d’abord être descendu, il s’est abaissé. Paul évoque ainsi l’incarnation du Christ, son abaissement sur la croix. Ainsi, à partir d’un verset de psaume, Paul nous rappelle tout le mystère de la foi : Christ est né, il est mort, il est ressuscité, il est élevé.)

Au verset 11, il énumère ces dons : les apôtres, les prophètes, les évangélistes, les pasteurs et les catéchètes. En autres mots, toutes ces personnes qui, dans l’Église, acceptent une responsabilité et exercent un ministère. Paul nous rappelle que ces dons sont faits pour construire l’Église, le corps du Christ. Le but, c’est de faire de nous des adultes dans la foi, de mener l’Église elle-même à la maturité d’un Corps adulte.

Après avoir ainsi évoqué le passé lointain dans la citation du psaume, le passé récent dans le mystère du Christ et la situation présente dans son invitation à l’unité, Paul se tourne vers l’avenir dans les derniers versets. Il décrit cette situation future idéale où, « confessant la vérité dans l’amour, » nous aurons atteint la plénitude de la maturité de la foi. L’Église alors sera parfaitement unie dans la diversité des dons grâce à l’amour qui y circule.

Exhortation à l’unité, contemplation du Christ, méditation sur l’Écriture, réflexion pastorale, élan poétique : chez Paul, tout contribue à exciter chez ses lecteurs un désir de vivre selon l’Esprit du Christ en recherchant la volonté du Père. Quelle richesse dans sa pensée! Quelle richesse pour notre vie!

mercredi 9 mai 2012

Sentiments ou convictions?


Lire 1 Jean 4, 7-10

Quelqu’un m’a récemment envoyé une question au sujet de l’amour inconditionnel de Dieu pour les humains: « Quand quelqu’un commence à parler de cela, je ne fais qu’hocher de la tête, parce que je ne veux pas partir de discussion. Mais je ne ressens pas cet amour divin dont les gens parlent. Je ne sais pas à quoi cela peut ressembler. Ça ne sert à rien de le comparer à l’amour familial, puisque je n’ai pas connu beaucoup d’amour comme enfant. Dans le fond, mon problème, c’est que l’idée de l’amour de Dieu ne provoque aucune émotion en moi. »

Peut-être mon amie croit-elle intellectuellement dans l’amour inconditionnel de Dieu, mais elle est frustrée de ne pas ressentir cet amour dans sa vie. Cela entraîne une question qui me semble essentielle: la foi, est-elle fondée sur des émotions, ou sur des convictions?

J’essaie de m’expliquer. Il m’arrive assez souvent de choisir d’agir d’une certaine façon non pas parce que ça me tente ou que j’en ai l’envie, mais parce que je suis convaincu que je dois agir ainsi. Les parents le rappellent souvent à leurs enfants : « Tu ne peux pas toujours faire ce que t’as le goût de faire! »

Qu’est-ce qui nous convainc lorsqu’on ne ressent rien? Parfois, ce sera une réflexion intellectuelle. Parfois, une saisie intuitive à laquelle nous nous fions. Parfois, une requête qu’on ne peut refuser. Parfois, une valeur qui nous tient à cœur. Il y a bien des raisons qui peuvent nous convaincre d’agir d’une certaine façon, même lorsque nos sentiments ou nos émotions nous poussent au contraire. De fait, on devrait se réjouir qu’il en soit ainsi. Si je décidais toujours en fonction de mes émotions, je créerais un chaos autour de moi, car mes émotions tournent comme une girouette : un jour, j’ai le goût de faire quelque chose; le lendemain, la même chose m’ennuie profondément.

C’est pourquoi nos croyances profondes ne peuvent pas être fondées sur des émotions ou des sentiments, mais sur des convictions. Je crois en l’amour inconditionnel de Dieu, non parce que j’ai ressenti cet amour-là, mais parce que j’en suis convaincu. Ce qui me convainc, c’est l’histoire de Jésus, l’enseignement des Écritures, la vie des saints, les écrits des sages de notre tradition… Tout cela me convainc de l’amour inconditionnel de Dieu, que je le ressente ou non. C’est pourquoi je me fie à cet amour, j’agis selon la dynamique de cet amour, même si je ne le ressens pas.

Dans les fictions romantiques, les sentiments mènent aux convictions. On commence par « tomber dans les pommes, » ensuite on se met à agir en fonction de l’amour qui grandirait pour l’autre. Dans la vie chrétienne, c’est un peu le contraire : mes convictions font naître mes sentiments. Saint Jean l’affirme : « Dieu est amour… Et voici l’amour : non pas que nous avons aimé Dieu d’abord, mais que lui nous a aimés et a envoyé son Fils pour être le sacrifice d’expiation pour nos péchés. » En devenant convaincus de l’amour de Dieu pour nous, nous grandissons dans notre amour pour Dieu, dans notre amour pour tous ceux qui cheminent avec nous. La conviction que Dieu m’aime fait grandir en moi mon amour pour Dieu.

jeudi 3 mai 2012

Pourquoi prier?

Lire I Jean 3,18-24

Je me rappelle bien la douleur de cet homme qui me confiait : « Ma mère était mourante. J’étais en route pour la voir et je priais Dieu de la garder en vie jusqu’à ce que je puisse lui faire mes adieux. Mais elle est décédée une heure avant que je n’arrive. Moi, je suis engagé dans ma paroisse, fidèle à l’enseignement de l’Église, présent à la messe tous les dimanches. Pourquoi Dieu n’a-t-il pas répondu à ma prière? »

Il me semble que nous connaissons tous l’expérience désolante de prier sans obtenir de réponse. Voilà d’ailleurs pour bien des gens une épreuve qui les détourne de la foi : à quoi bon mener une vie religieuse si Dieu ne répond pas, s’il n’exauce pas ma prière?

Pourtant, dans notre texte d’aujourd’hui, saint Jean dit bien : « Tout ce que nous demandons à Dieu, il nous l’accorde, parce que nous sommes fidèles à ses commandements. » N’y a-t-il pas une contradiction entre cette affirmation et l’expérience de tant de croyants et de croyantes qui n’ont pas reçu de réponses à leurs prières?

Voici, il me semble, le nœud du problème : on oublie que la fidélité à Dieu et à ses commandements dont parle saint Jean doit transformer tout notre être, y inclus notre prière. Trop souvent, les besoins que nous exprimons dans nos prières n’ont pas été transformés par notre recherche de la volonté de Dieu. C’est comme si je priais : « Que MA volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Et je m'imagine que tant que j’obéis extérieurement aux commandements de Dieu, Dieu devra faire ma volonté. Comme s’il s’agissait de changer la volonté de Dieu, d’accorder sa volonté à la mienne.

Alors que la vie chrétienne, c’est justement le contraire. Il s’agit d’accorder notre propre volonté à celle de Dieu. Comme Jésus à Gethsémani : « Père, éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! »

C’est pourquoi notre prière elle-même doit être transformée et purifiée. Certes, on peut toujours exprimer nos souffrances et nos désirs à Dieu. Mais la prière chrétienne ne peut s’arrêter là, en pensant que Dieu va simplement soulager telle souffrance ou répondre à tel désir. La prière chrétienne doit pousser plus loin : « Dans ma souffrance, face à mon désir, Seigneur, que veux-tu que je fasse? » Dans ma prière, je dois creuser ma fidélité devant le Seigneur en cherchant sa volonté au cœur de ce que je vis. Voilà pourquoi saint Jean continue en nous rappelant que nous devons faire « ce qui lui plaît. »

Et encore plus : « Celui qui est fidèle demeure en Dieu, et Dieu en lui. » Voilà le fruit ultime de toute prière : la communion avec Dieu qui est amour, et le partage de cet amour autour de nous dans son Esprit. Être chrétien, cela veut aussi dire prier en chrétien, prier autrement. Que l’Esprit nous aide à prier comme Jésus.