mercredi 29 février 2012

Dieu m'aime-t-il vraiment?

Lire Romains 8, 31-34

Lorsque j’étais prêtre de paroisse, j’aimais bien participer à la préparer des enfants à la première communion. Je me plaisais à leur redire que l’Eucharistie est un sacrement où Dieu leur exprime son amour. Je leur rappelais qu’ils ont une valeur inestimable aux yeux de Dieu. Mais j’avais parfois l’impression que certains parents, en entendant cela, se disaient en eux-mêmes: “Ouais, si Dieu m’aimait, je n’aurais pas perdu mon emploi… mon mariage aurait réussi… ma mère ne serait pas malade… mon ami me pardonnerait…” De fait, j’ai l’impression que beaucoup d’adultes doutent de l’amour de Dieu lorsqu’ils regardent tous les problèmes que la vie peut leur poser. Peut-on croire à l’amour de Dieu lorsque tant de choses vont mal?

Ce genre de doute semble inévitable si l’on croit que Dieu contrôle les événements de la vie. En effet, si c’est Dieu qui décide des pratiques d’embauche de ma compagnie, ou de l’attitude de mon époux, ou de la santé de ma mère, ou de la dureté de cœur de mon ami, alors je ne pourrai en conclure qu’une chose : Dieu est un metteur en scène sadique qui se plait à voir souffrir ses enfants. Ce Dieu-là, je ne pourrai pas lui faire confiance. Au contraire, je devrai m’en méfier, chercher à l’amadouer, négocier avec lui pour qu’il détourne son regard et me laisse en paix.

Mais est-ce là le Dieu de Jésus-Christ? Saint Paul professe ouvertement et clairement sa foi dans notre extrait d’aujourd’hui. Il y affirme sa conviction que Dieu nous aime, que Dieu est pour nous, que rien ne peut nous séparer de cet amour divin. C’est que Paul ne voit pas Dieu comme un metteur en scène sadique, mais comme un Père compatissant qui comprend notre souffrance et vient la partager. Il a même donné son Fils, Jésus, pour nous montrer jusqu’à quel point il nous aime. En Jésus, Dieu est venu partager notre souffrance, la subir jusqu’au bout. Devant la souffrance de Jésus, comment continuer à croire que Dieu nous envoie nos problèmes? Au contraire, il vient subir nos problèmes avec nous, toujours à nos côtés, toujours prêt à nous appuyer, nous encourager, nous aider. Bref, en Jésus sur la croix, Dieu nous révèle son amour, un amour sans limites, un amour sans fin.

Nous devons changer notre façon de voir et de comprendre la vie. Dieu n’est pas la cause de nos problèmes et de nos souffrances. Dieu n’est pas le metteur en scène de notre vie qui se plait à multiplier les problèmes et les obstacles. Non, Dieu est avec alors que nous confrontons ces problèmes et ces obstacles. En Jésus, il s’est donné jusqu’au bout. Et en ressuscitant Jésus, il nous montre que son amour est plus puissant que tout obstacle, que la vie qu’il nous partage est plus forte que la mort. En lui, notre espérance revit.

Alors, faisons-nous un cœur d’enfant, comme à la première communion. Redécouvrons la confiance en ce Dieu d’amour. Oui, nous avons du prix à ses yeux. Il nous aime.

jeudi 23 février 2012

La descente aux enfers

Lire 1 Pierre 3, 18-22

« A été crucifié, est mort, a été enseveli, est descendu aux enfers… » Ces mots sont tirés du Credo des Apôtres, récité à la messe tous les dimanches. Il a été composé à une époque où certains chrétiens, pour sauver la dignité de Jésus, refusaient de croire qu’il était vraiment mort. Ils disaient qu’il avait plutôt fait semblant de mourir. Mais le Credo des Apôtres insiste : la torture de Jésus a mené à son décès et à sa sépulture. Encore plus, il est descendu au séjour des morts. Car pour les Juifs au temps de Jésus, comme pour les Grecs, il y avait un genre de demi-vie au-delà la mort. D’après les idées du temps, les morts ne mouraient pas complètement, leurs « ombres » continuant à vivoter dans un séjour obscur qu’on appelait « les enfers ».

Saint Pierre voit dans cette descente aux enfers non seulement un événement passif, un sort auquel Jésus doit se soumettre dans la mort. Il y voit un geste actif, une décision de Jésus qui va annoncer, au cœur du séjour des morts, la victoire de la vie. Et il va l’annoncer aux pires coupables que les Juifs pouvaient imaginer : les pécheurs qui avaient provoqué le déluge au temps de Noé.

J’ai lu quelque part : « Tu ne peux jamais sombrer si bas dans le péché et le mal que l’amour de Dieu est incapable de t’en relever. » C’est un peu la leçon que je tire de ce passage de Pierre. Si Jésus est descendu jusqu’au séjour des morts, il peut aussi venir me rejoindre dans mes morts à moi, dans ces coins de ma vie où règne encore le mal. Il peut venir me rejoindre dans mes désespoirs et mes souffrances, dans mes peurs et mes indifférences. Et il ne vient pas pour condamner, mais pour guérir et annoncer la victoire de sa vie sur ma mort.

Cette victoire-là, elle est déjà réalisée en nous par le baptême. Plongés dans l’eau du baptême, c’est comme si nous descendions confronter la mort elle-même. Mais nous ne le faisons pas seuls : nous y descendons avec Jésus. Et c’est avec Jésus que nous remontons vers l’air et la lumière, vers la vie et l’amour. Déjà, par le baptême, la victoire de la résurrection est inscrite en nos vies.

Comme le dit si bien Saint Pierre : « Être baptisé, ce n’est pas seulement se laver le corps : c’est s’engager envers Dieu qui nous sauve par la résurrection de Jésus Christ. » En ce sens-là, le baptême n’est pas simplement un événement de mon passé : il est un chemin sur lequel je suis engagé, par lequel je m’engage un peu plus chaque jour envers Dieu qui me sauve en Jésus. Voilà tout un programme pour ce carême qui commence.

mercredi 8 février 2012

Des dieux, des droits et des responsabilités


Lire I Corinthiens 10,23 – 11,1



Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de visiter les ruines de Pompéi en Italie. J’ai été impressionné par le nombre de temples consacrés aux divers dieux du panthéon romain. À chaque coin de rue, il semblait y avoir un petit temple à un dieu particulier. On m’a expliqué que chaque dieu avait sa zone d’influence : le commerce, l’amour, la température, l’amitié, l’agriculture, le travail, etc. On venait souvent sacrifier des animaux sur les autels de ces petits temples afin d’implorer un secours ou pour rendre grâce. Et toute cette viande, qu’est-ce qu’on en faisait ? Elle se retrouvait au marché et éventuellement sur la table à dîner pour un repas.


Les chrétiens de Corinthe vivaient ainsi au milieu de la culture païenne grecque. Et ils étaient souvent confrontés à un problème : devaient-ils acheter au marché cette viande offerte aux idoles ? devaient-ils accepter d’en manger lorsqu’on en offrait lors d’un repas ? Il était clair qu’ils ne devaient pas participer au culte des idoles et ne pas offrir de sacrifice aux temples. Mais si les dieux n’existaient pas, si ce culte était vide et vain, pourquoi ne pas alors manger la viande ?

D’ailleurs, Paul n’avait-il pas prêché qu’une fois sauvé, on était libre de toute loi ? N’avait-il pas dit que c’est l’amour de Dieu qui nous sauve, et non pas nos propres actes ? N’a-t-il pas même prêché que « tout est permis ? »


Paul répond à cette question par une phrase que nous devrions tous graver sur notre cœur : « Tout est permis, mais tout ne convient pas. » Paul est d’accord que la viande offerte aux dieux n’est rien, et qu’on peut bien en manger dans la liberté chrétienne. Mais… et c’est un grand « mais »… il faut se demander quel impact notre décision aura sur les autres. Si mon confrère juif, dont la loi impose qu’on ne mange pas ces viandes, est scandalisé par mon geste, ne devrais-je pas alors me retenir ? Si mon amie païenne croit que j’adore une idole en mangeant cette viande, ne devrais-je pas m’abstenir ? Si la foi d’un frère ou d’une sœur de l’Église est plus fragile, ne devrais-je pas, pour la paix de son âme et le bien de la communauté, manger autre chose?


Nous vivons aujourd’hui dans un monde où chacun, chacune réclame ses droits. La « charte des droits et libertés » est devenue la nouvelle bible de notre société. Mais qui élève la voix pour nous rappeler nos devoirs et nos responsabilités ?


Les droits personnels ne sont pas le plus grand bien. La vie en communauté, l’amour des autres est encore plus important. Et je dois parfois sacrifier l’exercice d’un droit par amour pour un autre, en vue de faire grandir la communauté. À quoi sert l’exercice d’un droit si, en l’exerçant, je détruis la communauté qui m’accorde ces droits ? Il faut enrichir le langage des droits par un langage supérieur : celui de l’amour.

mercredi 1 février 2012

Comment rendrai-je le bien que tu m'as fait?

Lire I Corinthiens 9, 16-23

Un jour, j’ai été bien mal pris. Ou plutôt devrais-je dire, un soir. J’avais décidé de me rendre de nuit de Timmins à Ottawa, près de 800 kilomètres. Vers quatre heures du matin, sur la route entre Temiskaming et North Bay, j’ai manqué d’essence. Ceux qui connaissent ce chemin savent qu’il traverse une centaine de kilomètres de forêt inhabitée. J’ai du attendre presque une heure avant qu’une auto passe par là. Heureusement, le chauffeur a eu pitié de moi et m’a pris avec lui. Nous avons trouvé un poste d’essence isolé quelques trente kilomètres plus loin où j’ai pu remplir un bidon d’essence. Mon bon Samaritain a offert de me reconduire à mon auto, ce que j’ai accepté avec joie. En retour, j’ai payé pour faire remplir son réservoir.

N’était-il pas normal que je remette ainsi la charité à cet homme qui m’en avait tant montré? L’essence que je lui ai payée était bien peu comparée au service qu’il me rendait, au temps qu’il me sacrifiait, lui qui avait bien hâte de se rendre à Toronto. La politesse exigeait que je lui remette un peu la faveur qu’il m’avait accordée. Je n’ai aucune gloire à tirer de mon geste. Lorsque je raconte cette histoire, ce n’est pas moi le héros, c’est lui.

Cette attitude est aussi celle de Saint Paul alors que, dans les versets qui nous sont proposés ce dimanche, il explique aux Corinthiens comment il voit sa tâche d’apôtre. Il n’a aucune gloire à en tirer. Il n’est pas le héros de son histoire. Au contraire, toute gloire revient au Seigneur, qui l’a délivré des ténèbres et l’a fait entrer dans son admirable lumière. Pour Paul, le ministère qu’il exerce n’est pas une faveur faite à Dieu : c’est une obligation qui lui incombe du fait de la grande générosité que Dieu a manifestée à son égard.

Et cela va encore plus loin. En signe de sa gratitude, Paul essaie de se passer de tout soutien venant de ceux qu’il évangélise. Ce n’est pas qu’il n’en a pas le droit. Mais, dans ce cas-ci, Paul choisi plutôt de travailler de ses mains pour se gagner un salaire, afin de rester libre par rapport aux Corinthiens.

Cela lui permet de venir parmi les Corinthiens comme un ami plutôt qu’un employé. Il vient partager leur vie, s’engager dans leur communauté. Ce partage de vie fraternelle sera le moyen privilégié pour lui de faire résonner la Parole de Dieu. Tout cela, il le fait pour le bien des Corinthiens. La seule récompense qu’il cherche, il l’a déjà reçue, non comme une récompense mais comme un cadeau : le salut en Jésus-Christ.

Il en est ainsi pour nous qui connaissons l’amour de Dieu. Ce que nous faisons de bon et de beau, les services que nous rendons, les gestes de compassion que nous posons, ne sont pour nous qu’une réponse à une générosité extraordinaire qui nous a déjà été faite. La vie chrétienne n’est pas une recherche de récompense, mais la réaction d’un cœur qui se sait aimé gratuitement.