dimanche 28 juin 2020

La messe déconfinée (5) - Textes d'appui


En prévision du 49e congrès eucharistique international tenu à Québec en 2008, un Document théologique de base avait été préparé sous la direction du Cardinal Marc Ouellet. Durant le congrès, près de 400 délégués ont participé à des ateliers de réflexion dont les considérations, reprises par un comité spécial, ont donné naissance à un document intitulé Réflexion et de recommandations. Voici quelques extraits de ces deux documents.


Document théologique de base

  • L'Église, partenaire du Seigneur ressuscité, vit du don de Dieu et s'unit à Jésus Christ, souverain prêtre, dans la communication de ce don à l'humanité. Le monde bénéficie de la charité des chrétiens et aussi du culte de l'Église qui glorifie Dieu en intercédant pour le monde. Qu'elle dialogue avec Dieu dans le culte ou avec le monde dans la mission, l'Église ne vit pas pour elle-même, mais pour celui qui est venu "pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance." 
  • Du don accompli « pour que le monde ait la vie », l'Église est le témoin au milieu des hommes. L’eucharistie est alors un constant défi posé à la qualité de vie et d’amour des disciples du Christ. Qu'ai-je fait de mon frère? Qu’avez-vous fait de moi? « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais un étranger, j’étais nu, malade, en prison » (cf. Mt 25, 31-46). Ce qu’ils célèbrent est-il compatible avec leurs relations sociales, familiales, interraciales et interethniques ou avec la vie politique et économique à laquelle ils participent? Le mémorial de ce qu’ils considèrent comme l'événement central de l'histoire de l'humanité vient dévoiler leur inconséquence chaque fois qu’ils tolèrent quelque forme de misère, d'injustice, de violence, d'exploitation, de racisme et de privation de liberté. 
  • L'eucharistie convoque les chrétiens à participer à la restauration continue de la condition humaine et de la situation du monde, à défaut de quoi ils sont sérieusement invités à la conversion pour vivre l’appel de l’Évangile : « laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande» (Mt 5, 23-24).


Réflexion et recommandations

  • Il faut favoriser le développement d’une spiritualité eucharistique chez tous les baptisés. Cette spiritualité relie l’action liturgique de la messe — prolongée dans le culte eucharistique hors de la messe — à l’engagement chrétien au coeur du monde. Elle est tout entière axée sur le mystère pascal accompli une fois pour toutes en Jésus et continuellement actualisée dans l’Église de tous les temps.
  • Une juste spiritualité eucharistique se vérifie lorsque la célébration de la messe engage la pleine participation de tous les baptisés —participation intérieure autant qu’extérieure— et lorsque le désir de rendre gloire à Dieu se conjugue à une vive conscience du monde qu’il nous invite à transformer.
  • Pour que nos célébrations et notre prière soient vraies, elles doivent nous envoyer en mission vers le monde en inspirant, nourrissant et soutenant notre engagement chrétien au coeur du monde.

La messe déconfinée (4) - Textes d'appui

La XIe assemblée générale du Synode des évêques s’est tenue à Rome en 2005 sous le thème : « L’eucharistie, source et sommet de la vie et de la mission de l’Église. » Dans les mois suivants, inspiré par les réflexions et les recommandations exprimées durant le synode, le pape Benoît XVI a rédigé une exhortation post-synodale intitulée « Le sacrement de la charité ». En voici quelques extraits.

  • Nous ne pouvons garder pour nous l'amour que nous célébrons dans ce Sacrement. Il demande de par sa nature d'être communiqué à tous. Ce dont le monde a besoin, c'est de l'amour de Dieu, c'est de rencontrer le Christ et de croire en lui. C'est pourquoi l'Eucharistie n'est pas seulement source et sommet de la vie de l'Église; elle est aussi source et sommet de sa mission: « Une Église authentiquement eucharistique est une Église missionnaire »… Au cours de la dernière Cène, Jésus confie à ses disciples le Sacrement qui actualise le sacrifice qu'il a fait de lui-même par obéissance au Père pour notre salut à tous. Nous ne pouvons nous approcher de la Table eucharistique sans nous laisser entraîner dans le mouvement de la mission qui, prenant naissance dans le Cœur même de Dieu, veut rejoindre tous les hommes. La tension missionnaire est donc constitutive de la forme eucharistique de l'existence chrétienne. (no 84)
  • L'émerveillement pour le don que Dieu nous a fait dans le Christ imprime à notre existence un dynamisme nouveau qui nous engage à être témoins de son amour. Nous devenons témoins lorsque, par nos actions, nos paroles et nos comportements, un Autre transparaît et se communique. (no 85)
  • Toute célébration eucharistique actualise sacramentellement le don que Jésus a fait de sa vie sur la croix pour nous et pour le monde entier. En même temps, dans l'Eucharistie, Jésus fait de nous des témoins de la compassion de Dieu pour chacun de nos frères et sœurs… Par conséquent, nos communautés, quand elles célèbrent l'Eucharistie, doivent prendre toujours plus conscience que le sacrifice du Christ est pour tous, et que l'Eucharistie presse alors toute personne qui croit en Lui à se faire « pain rompu » pour les autres et donc à s'engager pour un monde plus juste et plus fraternel. (no 88)
  • C'est précisément en vertu du Mystère que nous célébrons qu'il nous faut dénoncer les situations qui sont en opposition avec la dignité de l'homme, pour lequel le Christ a versé son sang, affirmant ainsi la haute valeur de toute personne. (no 89)
  • Enfin, pour développer une spiritualité eucharistique profonde, capable aussi de peser significativement sur le tissu social, il est nécessaire que le peuple chrétien, qui rend grâce par l'Eucharistie, ait conscience de le faire au nom de la création tout entière, aspirant ainsi à la sanctification du monde et travaillant intensément à cette fin. (no 92)

samedi 6 juin 2020

La mort de George Floyd, les manifestations anti-racistes et un évêque qui vient de mourir

Depuis deux semaines, je suis collé aux nouvelles américaines qui rapportent les nombreuses manifestations anti-racistes suite à la mort violente d’un enième noir aux mains de la police. J’ai été choqué devant la vidéo de la mort de George Floyd et l’insoucience inhumaine du policier qui l’a provoquée. J’ai été touché par les abondantes expressions de solidarité et d’engagement en faveur de l’égale dignité de tous les humains. J’ai été éduqué par des réflexions sobres, profondes et éclairantes sur le phénomène du racisme. J’ai été révolté par le manque de respect total des anarchistes et des casseurs qui profitent des manifestations pour détruire, brûler et voler. J’ai été scandalisé par l’utilisation de la Bible de la part d’un chef de gouvernement qui cache son insouciance pour la souffrance des autres derrière sa pseudo-religiosité.

Ce matin, j’ai enfin décidé d’écrire ce petit billet. Pourquoi aujourd’hui? Parce je viens d’apprendre qu’un évêque américain noir que j’ai eu le privilège de connaître est décédé du cancer durant la nuit. Il s’appelait George, lui aussi, George Murray. Évêque de Youngston, Ohio, il avait été président du comité anti-raciste des évêques américains et secrétaire de leur conférence nationale. J’avais appris à le connaître lorsque j’étais président de la CÉCC. Nous étions devenus un peu amis. J’ai passé une fin de semaine à New York avec lui : nous avons visité des musées, écouté des concerts, flâné dans les rues. Nous avons beaucoup parlé. Homme profondément humain, radicalement chrétien, il m’avait impressionné par sa sagesse, sa foi, sa vision de l’Église et du monde.

Ce matin, je suis allé relire quelques textes de conférences qu’il a données sur la question du racisme. En 2018, il a prononcé un discours où il invitait l’Église américaine à s’engager dans la transformation des attitudes de son pays en commençant par une transformation intérieure des attitudes personnelles des catholiques eux-mêmes. Il encourageait chacun et chacune à s’engager dans la lutte contre le racisme en commençant d’abord par tisser des relations individuelles avec des gens d’autres races, d’autres ethnies, d’autres religions. J’ai retenu une phrase que je propose à la méditation de tous fidèles de notre diocèse et de toute personne de bonne volonté qui me lira :

« Faites l’effort de connaître quelqu’un d’une autre race, 
d’écouter leur histoire, 
de marcher dans leurs souliers... 
Ensuite, servez-vous des dons que vous avez reçu 
pour créer des chances 
pour les gens qui vivent aux marges de notre société. »

Nous pouvons nous sentir impuissants devant un phénomène aussi répandu et systémique que le racisme. Nous pouvons nous demander à quoi sert de participer à une manifestation ou à signer une pétition. Nous pouvons même être insouciant devant ce qui se passe, convaincus que le racisme n’existe pas chez nous.

Je vous invite à suivre le conseil de Mgr Murray. Apprenez à connaître quelqu’un d’une autre race ou d’une autre religion, prenez le temps de l’écouter, demandez-lui de vous parler de ses expériences de racisme et d’injustice, ouvrez votre cœur à la réalité des autres. Et je dis cela non seulement pour les gens de race blanche, dont je suis, mais pour toute personne qui désire construire une société plus juste et plus fraternelle.

En écoutant les voix des manifestants, j’entends les échos du peuple juif qui criait vers Dieu avec des mots que nous prions encore aujourd’hui à l’Église :

Combien de temps les impies, Seigneur, 
combien de temps vont-ils triompher ? 
C'est ton peuple, Seigneur, qu'ils piétinent, 
et ton domaine qu'ils écrasent ; 
ils massacrent la veuve et l'étranger, 
ils assassinent l'orphelin... 
On s'attaque à la vie de l'innocent, 
le juste que l'on tue est déclaré coupable. 
(Psaume 93)

Mais je n’entends pas seulement un cri, je vois également un «signe des temps» dans ces manifestations qui s’étendent à travers le monde. J’y vois l’œuvre de l’Esprit-Saint qui vient «renouveler la face de la terre» (Psaume 103) et du Christ ressuscité qui vient faire «toutes choses nouvelles» (Apocalypse 21). Engageons-nous aujourd’hui dans l’œuvre de Dieu.

Prions pour la conversion des cœurs, pour la fraternité entre les peuples, pour la justice et pour la paix. Mais posons aussi un petit geste qui pourrait faire une grande différence : allons à la rencontre de nos frères et de nos sœurs qui nous semblent si différents. Nous découvrirons que nous sommes tous les enfants du Bon Dieu!

+ Paul-André Durocher 
6 juin 2020