Ce soir, en arrivant à la cathédrale, on vous a invité à passer par la Porte de la miséricorde que nous avons désignée pour cette année jubilaire. Depuis le début décembre, plusieurs personnes y sont passées... et nous prévoyons que de nombreux groupes et individus profiteront du printemps et de l’été pour faire cette expérience.
Dans ce cadre, j’entends souvent des questions au sujet de l’indulgence plénière liée à cette démarche. Je dois admettre que c’est un thème avec lequel je suis mal à l’aise. On a si souvent mal compris l’idée de l’indulgence plénière, elle a joué un si grand rôle dans la séparation de l’Église il y a cinq cents ans, que j’aurais parfois le goût qu’on n’en parle plus.
Mais j’ai décidé étudier cette réalité de plus près, surtout à partir des quelques indications que nous donne le Pape François. Je vous partage trois leçons que je tire de mes réflexions.
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Premièrement, l’indulgence n’est pas une chose, un genre de laissez-passer qu’on gagnerait grâce à certains gestes quasi magiques. L’indulgence n’est pas une chose : elle est une qualité, une qualité qu’on retrouve chez certaines personnes humaines, une qualité qu’on reconnaît de façon éminente en Dieu. Dieu est un Père indulgent qui veut nous faire vivre pleinement, au-delà de nos limites et de nos faiblesses. Il nous donne la vie, il nous relève quand nous tombons, il nous guérit de nos blessures, il nous envoie son Fils pour marcher avec nous, il nous donne son Esprit pour être notre vie. Première leçon : l’indulgence c’est l’amour de Dieu, un amour fidèle, inconditionnel, éternel.
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Deuxièmement, Dieu ne se satisfait pas de nous pardonner nos fautes. C’est déjà beaucoup, énorme même. Mais Dieu veut faire plus pour nous : Dieu veut nous aider à guérir du mal qu’on s’est fait et à réparer le mal qu’on fait aux autres. Dans sa grande miséricorde, il nous pardonne ET il nous aide à réparer le monde. Car lorsqu’on prend conscience du mal qu’on a commis, on se sent responsable des conséquences de ce mal.
Disons que j’étais un joueur de hockey amateur qui m’amusait dans une ligue formée d’amis. Un jour, stressé par mon ouvrage, fatigué par des réparations à la maison, frustré par mon manque de succès au jeu, je me laisse aller un peu et je plaque un bon ami assez durement pour lui casser le nez. Morfondu par mon manque de discipline personnelle, profondément navré d’avoir blessé mon ami, je multiplie les excuses en lui demandant pardon. Et lui de me répondre, « Ça va, je te pardonne, mais emmène-moi à l’hôpital, pour l’amour du ciel ! » Ma faute est peut-être pardonnée, mais la conséquence du mal que j’ai fait demeure. Je veux réparer ce mal.
Dans le judaïsme contemporain, une expression s’est répandue depuis quelques décennies : Tikkun Olan — qui, en hébreu, veut dire réparer le monde. Ceux qui suivent ce courant sentent que le Peuple juif a été choisi particulièrement pour cette mission. Je vous suggère que nous, catholiques, devrions aussi apprendre cette belle expression — Tikkun Olan —, car en tant qu’héritiers de l’Alliance nous portons également la responsabilité de réparer le monde.
N’est-ce pas là justement la raison de la venue du Christ parmi nous ?
Le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.
Mes amis, nous nous retrouvons ce soir au cœur d’une telle année favorable, une année jubilaire. Et il y encore parmi nous des pauvres, des captifs, des aveugles et des opprimés. Il y a encore un monde à réparer. L’onction qui a consacré Jésus à cette mission nous consacre aussi — car nous avons été consacrés par l’onction du baptême, de la confirmation ou de l’ordre. La mission du Christ est également la nôtre : réparer le monde.
Dieu, dans son indulgence, ne nous laisse pas seuls face à cette responsabilité. Il nous donne sa grâce pour nous aider à y répondre. Il nous donne son Esprit qui nous guérit. Et ce même Esprit nous donne la force d’embrasser cette tâche à deux bras et de nous y engager pleinement. Deuxième leçon : l’indulgence, c’est Dieu qui nous guérit et nous donne la force de réparer le monde avec Jésus.
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Troisièmement, l’indulgence n’est pas une réalité individuelle, mais communautaire. Les conséquences du mal dans le monde sont trop complexes et enchevêtrées pour être par une personne seule, aussi sainte soit-elle.
Permettez-moi de reprendre mon exemple. Disons que j’avais un fils adolescent qui me regardait jouer. Comment aurait-il réagi devant mon excès de force ? Peut-être aurait-il pensé, « Mon père, ça c’est un homme ! Je veux être comme lui, ne pas me laisser passer sur le dos, frapper avant d’être frappé ! » Mon fils pourrait peut-être justifier sa violence à la vue de la mienne.
Et peut-être ai-je une fille plus jeune, également témoin de l’incident. Peut-être aurait-elle pensé, « Mon père est violent ! Ça me fait peur. » Et j’aurais semé la méfiance dans son cœur par mon geste fou.
La violence de mon fils, la méfiance de ma fille, peut-être y ai-je contribué ? Pourraient-ils à leur tour blesser leurs amis, emportés par leurs émotions comme moi ? Comment réparer ces conséquences de mon geste, conséquences que je ne peux même pas soupçonner ?
Seul, je ne le peux pas. C’est pourquoi j’ai besoin des autres pour réparer le monde. Voyez Jésus : dès que son Père le consacre pour la mission, Jésus va se trouver des collaborateurs et des collaboratrices avec lesquels relever le défi. Ainsi est née l’Église, ce grand mouvement d’hommes et de femmes consacrés à la réparation du monde avec le Christ.
Dans sa grande indulgence, Dieu nous unit au Christ et entre nous pour tisser un immense réseau de grâce, de bonté et de sainteté au cœur de notre monde, un réseau qu’on appelle la communion des saints. L’indulgence du Père nous insère dans ce réseau, qui dépasse les limites de ce monde et de ce temps. Ensemble, nous pouvons nous aider les uns les autres à guérir de nos blessures, à discerner avec sagesse, à agir avec courage en réparant le monde. Troisième leçon : l’indulgence, c’est Dieu qui nous donne une multitude de frères et de sœurs pour aller réparer ce monde qui est nôtre.
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Comment conclure ? De fait, il n’y a pas de conclusion. C’est pourquoi nous avons mis une affiche sur les deux côtés de notre porte de la miséricorde, pas seulement sur un côté.
En entrant dans la cathédrale, l’affiche sur la porte nous invite à venir rencontrer la miséricorde, l’indulgence de Dieu qui se penche sur nous pour donner la vie, nous guérir, nous faire entrer dans la communion des saints.
Et en sortant de la cathédrale, une seconde affiche nous indique le chemin qui nous attend et nous rappelle ces nombreuses œuvres de miséricorde qui nous permettent de réparer le monde. Forts de l’indulgence de Dieu, nous reprenons la route pour aller être, au cœur du monde, des signes vivants de sa miséricorde et de son indulgence. Nous ne concluons pas, nous commençons !
J’ajoute ceci : dans notre diocèse, nous avons identifié une quinzième œuvre de miséricorde à pratiquer d’une façon particulière entre nous. Elle se nomme la valorisation. Nous en avons fait la priorité pastorale de notre diocèse pour cette année. Valoriser un autre, c’est justement l’aider à découvrir qu’il fait partie de ce réseau d’hommes et de femmes consacrés à réparer le monde. Valoriser un autre, c’est lui dire qu’il fait une différence dans notre monde et que sa présence est importante. Valoriser un autre, c’est pratiquer l’indulgence... un peu à la façon de Dieu.
Soyons indulgents comme le Père !