Lettre à
Michèle
Michèle, tu
ne me fatigues pas, au contraire, je trouve ta lettre profondément humaine et signifiante. Comme toi,
j'ai connu le catéchisme gris. Comme toi, j'ai appris à dire que Dieu est
infiniment bon, infiniment aimable et infiniment parfait. Et comme toi, à un
moment donné, je me suis rendu compte que ça ne tenait pas.
Jeune adolescent,
j'écoutais une émission à la CBC, Front Page Challenge, où le dramaturge Lister Sinclair justifiait souvent son
athéisme -- et attaquait la foi des invités croyants -- en demandant comment
Dieu aurait pu permettre le massacre de six millions de Juifs par les Nazis. Jeune
adulte, j'ai été ébranlé par Dostoïevski lorsque, au sujet de la souffrance des
enfants innocents, il met sur les lèvres d'Ivan Karamazov ces mots : « Si
les larmes des enfants sont indispensables pour parfaire la somme de douleur
qui sert de rançon à la Vérité, j'affirme catégoriquement que celle-ci ne
mérite pas d'être payée un tel prix! » Évêque, j'ai visité Haïti après le
séisme, Gaza en pleine tourmente, la plaine de la Bekaa avec ses milliers de
réfugiés syriens. Confronté à la souffrance horriblement injuste de tant
d'hommes et de femmes, d'enfants et de vieillards, je me suis souvent retrouvé
sans parole, muet devant les questions surgissaient...
Pourtant,
je demeure croyant. Comme toi, j'ai arrêté de croire dans le Dieu de mon
enfance, un hybride du Père Noël et de Superman. Mais j'ai continué à croire
que ce monde est entouré d'un mystère qui me dépasse. J'ai surtout continué à
croire en Jésus de Nazareth, qui n'a jamais expliqué pourquoi il y a de la
souffrance dans le monde, mais qui s'est fait tout proche des victimes de la
souffrance, qui a tout fait pour en guérir quelques-uns, et qui a lui-même été
victime d'une souffrance cruelle et profondément injuste. J'étais étonné par sa
fidélité à ce mystère qu'il nommait « Père ». Et je me suis rendu
compte que le « Père » de Jésus ne correspondait pas tout à fait avec
le Dieu de mon enfance.
En autres
mots, j'ai perdu « une » foi... pour retrouver la foi.
Si j'essaie de reconnaître des traces de Dieu dans l'horreur d'Alep, je les perçois
dans ces médecins qui, justement, n'ont jamais abandonné leurs blessés, même au
prix de leur propre vie. Je les perçois dans ces mères et ces pères de là-bas qui
ont tout fait pour protéger leurs enfants et leur donner un peu d'espérance. Je
les perçois dans hommes et ces femmes d'ici qui, incapables de changer la
situation en Syrie, ont cherché à changer la situation chez nous en créant des
foyers d'accueil pour les réfugiés de cette tragédie. Je les perçois même dans
ces lecteurs et lectrices qui, en dépit de l'horreur et de leur impuissance,
continuent à s'informer, à se laisser toucher, à se révolter -- comme toi --
devant cette situation qui révèle à l'humanité sa propre inhumanité. Et enfin,
je crois en un Dieu qui souffre avec ces innocents, un Dieu qui se fait
impuissant et petit... tout comme il l'avait fait à Bethléem il y a 2000 ans.
Je ne
cherche pas à te convertir, Michèle. Mais je voudrais que tu saches qu'il y a
des croyants et des croyantes qui, tout en partageant ton rejet de croyances
enfantines, continuent à croire, autrement.
Paul-André
Durocher, archevêque de Gatineau