mercredi 28 décembre 2016

Lettre à Michèle

Je viens de lire la chronique de Michèle Ouimet intitulée "Lettre à Dieu" (La Presse+, mercredi 28 décembre). Elle y affirme ne pas croire en Dieu à cause de la souffrance injuste qui sévit à Alep. (Vous pouvez consulter sa chronique en cliquant ici: Lettre à Dieu. La question qu'elle pose est universelle, et je crois qu'elle doit hanter (devrait hanter) toute personne qui se dit croyante. J'ai donc pensé rédiger une "Lettre à Michèle" qui pourrait nourrir la réflexion de toute personne qui s'arrête à ce blogue...


Lettre à Michèle

Michèle, tu ne me fatigues pas, au contraire, je trouve ta lettre profondément humaine et signifiante. Comme toi, j'ai connu le catéchisme gris. Comme toi, j'ai appris à dire que Dieu est infiniment bon, infiniment aimable et infiniment parfait. Et comme toi, à un moment donné, je me suis rendu compte que ça ne tenait pas. 

Jeune adolescent, j'écoutais une émission à la CBC, Front Page Challengeoù le dramaturge Lister Sinclair justifiait souvent son athéisme -- et attaquait la foi des invités croyants -- en demandant comment Dieu aurait pu permettre le massacre de six millions de Juifs par les Nazis. Jeune adulte, j'ai été ébranlé par Dostoïevski lorsque, au sujet de la souffrance des enfants innocents, il met sur les lèvres d'Ivan Karamazov ces mots : « Si les larmes des enfants sont indispensables pour parfaire la somme de douleur qui sert de rançon à la Vérité, j'affirme catégoriquement que celle-ci ne mérite pas d'être payée un tel prix! » Évêque, j'ai visité Haïti après le séisme, Gaza en pleine tourmente, la plaine de la Bekaa avec ses milliers de réfugiés syriens. Confronté à la souffrance horriblement injuste de tant d'hommes et de femmes, d'enfants et de vieillards, je me suis souvent retrouvé sans parole, muet devant les questions surgissaient...

Pourtant, je demeure croyant. Comme toi, j'ai arrêté de croire dans le Dieu de mon enfance, un hybride du Père Noël et de Superman. Mais j'ai continué à croire que ce monde est entouré d'un mystère qui me dépasse. J'ai surtout continué à croire en Jésus de Nazareth, qui n'a jamais expliqué pourquoi il y a de la souffrance dans le monde, mais qui s'est fait tout proche des victimes de la souffrance, qui a tout fait pour en guérir quelques-uns, et qui a lui-même été victime d'une souffrance cruelle et profondément injuste. J'étais étonné par sa fidélité à ce mystère qu'il nommait « Père ». Et je me suis rendu compte que le « Père » de Jésus ne correspondait pas tout à fait avec le Dieu de mon enfance.

En autres mots, j'ai perdu « une » foi... pour retrouver la foi. Si j'essaie de reconnaître des traces de Dieu dans l'horreur d'Alep, je les perçois dans ces médecins qui, justement, n'ont jamais abandonné leurs blessés, même au prix de leur propre vie. Je les perçois dans ces mères et ces pères de là-bas qui ont tout fait pour protéger leurs enfants et leur donner un peu d'espérance. Je les perçois dans hommes et ces femmes d'ici qui, incapables de changer la situation en Syrie, ont cherché à changer la situation chez nous en créant des foyers d'accueil pour les réfugiés de cette tragédie. Je les perçois même dans ces lecteurs et lectrices qui, en dépit de l'horreur et de leur impuissance, continuent à s'informer, à se laisser toucher, à se révolter -- comme toi -- devant cette situation qui révèle à l'humanité sa propre inhumanité. Et enfin, je crois en un Dieu qui souffre avec ces innocents, un Dieu qui se fait impuissant et petit... tout comme il l'avait fait à Bethléem il y a 2000 ans.

Je ne cherche pas à te convertir, Michèle. Mais je voudrais que tu saches qu'il y a des croyants et des croyantes qui, tout en partageant ton rejet de croyances enfantines, continuent à croire, autrement.


Paul-André Durocher, archevêque de Gatineau