mercredi 25 juillet 2012

Es-tu un individu ou une personne?

Lire Éphésiens 4:1 -6

Le mystère de Dieu a toujours confondu la pensée humaine. Nous n’arrivons pas à nous hisser au niveau qui nous permettrait de parler correctement de ce mystère, encore moins de l’expliquer. Nous balbutions et nous bégayons alors que nous cherchons les concepts et les mots les moins mal-adaptés pour parler de ce mystère qui nous entoure et nous dépasse.

Durant les premiers siècles de l’Église, les chrétiens ont débattu longuement des concepts et des mots qui pourraient exprimer un peu leur expérience de Dieu en Jésus-Christ. Un de ces concepts est celui de personne. Les évêques rassemblés au Concile de Nicée en 325 ont décidé de parler du Père, du Fils et de l’Esprit comme trois personnes en seul Dieu.

Remarquez qu’ils n’ont pas parlé de trois individus en Dieu! Le concept d’individu entraîne avec lui des idées d’autoaffirmation, d’autonomie, d’identité envers et contre les autres. Devenir un individu veut dire se différencier, se faire remarquer dans la foule, aller à contre-courant, chercher à s'épanouir sans considérer les autres. L’individualité est devenue une idée maîtresse de notre société contemporaine où chacun, chacune cherche à se poser dans son unicité absolue. Dans cette perspective, celle d’un Sartre par exemple, « l’enfer, c’est les autres »!

Le concept de personne est très différent. Devenir une personne veut dire se découvrir en relation avec d’autres. La personne pleinement humaine fait partie d’une communauté; elle se tient avec les autres, par contre les autres; elle sait que son épanouissement dépend de l’épanouissement des personnes qui l’entourent.

On comprendra alors que parler de trois personnes en Dieu, c’est affirmer qu'il y a quelque chose de communion, de relation et d’amour à la source de tout ce qui existe. Considérer l’être humain à la ressemblance de Dieu implique que l’être humain ne s'accomplit pas en devenant un individu, mais une personne.

Dans l’extrait de la lettre aux Éphésiens qui nous est proposé en ce dimanche, Saint Paul parle du mystère de Dieu qui git au cœur de la foi chrétienne : Dieu en tant que Père, Seigneur (le Fils) et Esprit. Sans se servir des mots du Concile de Nicée, il embrasse implicitement le concept de personne. Il suggère que, si Dieu est engagé depuis toute éternité dans une relation d’amour, nous qui croyons en ce Dieu devons tendre vers ce même type de relation entre nous. Du cœur de la vie chrétienne surgit une dynamique qui nous pousse à proclamer une seule foi, à célébrer un seul baptême, à partager une seule espérance. Et cette dynamique s’épanouit en humilité, en tendresse et en patience alors que nous cherchons à vivre en relation d’amour les uns avec les autres.

Nous ne perdons pas notre être-personne dans ce processus. Unité n'égale pas fusion. Par contre, notre personne est modelée par les relations qui nous lient les uns aux autres. Comme il en va de Dieu, ainsi en va-t-il de nous. Cherchons donc à refléter dans notre amour mutuel l’amour qui bat au cœur du mystère même de Dieu.

vendredi 20 juillet 2012

Aboli, le mur de la haine

Lire Éphésiens 2, 13-18

De nombreuses personnes de culture grecque s’intéressaient au judaïsme à l’époque de Jésus. Elles étaient fascinées par la croyance en un seul Dieu créateur et transcendant, en opposition à cette multitude de petits dieux grecs qui semblaient souvent plus enfantins que les hommes ordinaires. Le code moral du judaïsme leur semblait plus digne et plus engageant que ce qu’on pouvait retrouver chez certains philosophes grecs. Ils voyaient dans le culte sobre de la synagogue, centré sur la Parole de Dieu et la prière, une forme de liturgie plus signifiante que les nombreux sacrifices sanglants des innombrables temples des cités grecques. Mais une chose les empêchait de devenir Juifs : les centaines de règlements rituels de la Torah, qui auraient rendu difficile la vie dans la culture grecque. Un règlement particulier faisait obstacle : l’obligation de la circoncision pour les mâles.

Saint Paul était convaincu que le salut ne venait pas de l’obéissance à ces lois, mais de la foi au Christ, mort et ressuscité pour nous. C’est pourquoi le christianisme n’a pas retenu ces lois rituelles. Par contre, il a conservé la foi en un seul Dieu, ainsi que le code moral du judaïsme. Sa liturgie aussi s’inspire de la synagogue. Tout ce qui attirait les Grecs dans le judaïsme, on le retrouvait dans la jeune Église, mais recentré sur la personne de Jésus-Christ. Tout ce qui empêchait les Grecs d’adhérer au judaïsme, en particulier l’obligation de la circoncision, la jeune Église ne l’a pas gardé. Ce qui explique en partie l’attraction de l’Église pour ces gens de culture grecque.

Paul voit dans cette nouvelle réalité un effet de la venue du Fils de Dieu dans le monde. Grecs et Juifs peuvent maintenant se reconnaître frères et sœurs dans la foi au Christ. Ce qui fait dire à Paul que, dans sa mort et sa résurrection, le Christ a aboli « le mur de la haine » qui séparait les Grecs et les Juifs. Les Grecs qui étaient « loin » de l’Alliance et les Juifs qui étaient « proches » se retrouvent maintenant unis en un seul corps, une seule âme en Jésus.

Malheureusement, cette paix dont rêvait Saint Paul ne s’est pas complètement réalisée. Certes, quelques Juifs et quelques Grecs se sont unis dans la foi au Christ, mais pas tous. Les chrétiens furent exclus des synagogues, les Juifs furent persécutés par les chrétiens. Et Paul ne pouvait même pas prendre en considération les grandes traditions religieuses de l’Inde, de la Perse ou de la Chine qu’il ne connaissait pas, sans parler des animismes africains ou amérindiens. Il faut enfin reconnaître que les chrétiens eux-mêmes, au fil des siècles, ont construit de nouveaux « murs de la haine », entretenant des guerres de religion même entre eux.

La vision de Saint Paul demeure pourtant juste et bonne. Jésus a voulu rassembler l’humanité en une seule famille, adorant le même Dieu, partageant la même foi. L’œuvre de Jésus est une œuvre de paix. Les chrétiens d’aujourd’hui sont appelés à construire cette paix en travaillant à l’unité entre les Églises, en s’engageant au dialogue respectueux avec les autres religions, en faisant la promotion de la personne humaine quelle que soit sa culture, sa race ou sa langue. Jésus est le « prince de la paix. » Ses disciples aussi doivent être des hommes et des femmes de paix.

jeudi 12 juillet 2012

Une vue de très, très haut

Lire Éphésiens 1, 3-14

C’était le dernier jour de classe de ma sixième année. Assis sur une balançoire dans un petit parc, je suis devenu conscient que tout un été s’ouvrait devant moi, ainsi qu’un nombre illimité de possibilités. Et tout d’un coup, pour la première fois, j’ai compris que toute ma vie s’ouvrait devant moi, qu'une infinité de choix me seraient proposés tout au long de cette route. Perspective fascinante et bouleversante pour un enfant de douze ans.

Un autre jour quelques années plus tard, alors que je pelletais de la neige au milieu d’une tempête, je suis devenu conscient de l’absolue contingence de ma vie : mes parents auraient pu ne pas se rencontrer, j’aurais pu ne pas exister. Et l’idée m’est venue que l’univers lui-même aurait pu ne pas exister. J’ai ressenti ma petitesse, mon insignifiance.

Bien des années plus tard, jeune prêtre assis au bord d’un quai, contemplant le reflet de la forêt à la surface d’un lac, j’ai été saisi par la conscience vive et totale de la présence de Dieu dans l’univers. J’ai été comme immergé dans l’amour de Dieu pour tout être humain, pour toute la création. Cette expérience a résonné en moi pendant longtemps, longtemps.

Chaque personne connaît ces moments où l’esprit semble s’élever, malgré lui, et contempler la vie dans la totalité de son mystère. On est renversé par cette prise de conscience, bouleversé, fasciné, énergisé, humilié. On retourne transformé aux tâches quotidiennes : tout a basculé.

L’hymne de bénédiction qui ouvre la lettre aux Éphésiens jaillit d’une telle perspective. L’auteur est transporté par une vision où se dresse dans son ensemble l’histoire du cosmos et de l’humanité, ainsi que le plan de Dieu sur cette histoire. Il perçoit l’amour divin agissant dès avant la création du temps et de l’univers. Il se réjouit du plan bienveillant de Dieu qui choisit de nous faire connaître son Fils, Jésus. Il voit l’œuvre du Christ transformant l’univers jusque dans un avenir mystérieux où les temps seront accomplis et l’univers entier rassemblé dans son amour. Et il reconnaît, dans la prédication de l’Évangile, la conversion des cœurs et l’engagement dans la vie de l’Esprit, la réalisation actuelle de ce plan éternel.

Nous ne sommes pas habitués à de telles perspectives. Nos préoccupations quotidiennes, les choix à arrêter, les tâches à accomplir, tout cela nous oblige à nous arrêter à l’ici, au maintenant. Pour comprendre notre texte d’aujourd’hui, pour le prier et le vivre, il faut accepter de s’élever au-dessus du moment présent pour fixer un horizon infiniment plus vaste et éloigné.

Et pourtant, seule cette perspective peut donner le plein sens à notre vie quotidienne, aux engagements de tous les jours. S’élever avec l’Esprit ne nous détache pas du monde, mais nous le fait redécouvrir dans toute sa densité, sa valeur, sa réalité sacrée.