mardi 23 août 2016

Réponse à M. Roch Cholette, partie II

M. Roch Cholette, animateur de radio à Gatineau, ne s’est pas offusqué simplement du fait que j’ai pris la parole lors d’un ralliement citoyen. (J’ai répondu ici à sa préoccupation.) Il n’a pas accueilli favorablement mes propos appuyant ce ralliement contre un nouveau projet d’oléoduc dans notre raison.

Je regrette qu’il n’ait pas identifié quel élément de mon discours l’a irrité. Est-ce la phrase où j’ai affirmé que l’accès à l’eau potable est un droit fondamental dans notre monde? Est-ce le passage où j’ai félicité les marcheurs pour leur engagement citoyen? Est-ce ma suggestion que nos politiciens doivent promouvoir le bien commun, la santé de tous et le respect pour la terre? Ou bien est-ce mon plaidoyer pour que la voix des habitants locaux soit écoutée lors de prises de décisions qui les affecteront, eux et leurs enfants?

De fait, à écouter la chronique M. Cholette, on ne peut pas conclure qu’il a lu mon texte, qui pourtant est disponible ici. On reste avec l’impression qu’il appuie ce projet d’oléoduc et que toute position contraire à la sienne doit simplement être balayée du revers de la main.

Pour justifier ses propos, M. Cholette essaie d’infirmer ma prise de parole en se demandant combien de paroisses se chauffent au mazout. Il adopte la même tactique en rappelant que Mgr Ébacher s’était opposé au projet du Casino de Gatineau alors que, selon M. Cholette, les paroisses se finançaient par le moyen des bingos. D’abord, quelques faits : au fil des années, beaucoup de paroisses sont passées du charbon au mazout, puis du mazout au gaz naturel. Aujourd’hui, des paroisses étudient et optent pour des solutions encore plus respectueuses de l’environnement : thermo-pompes ou granules de bois. De même pour le bingo : si à un moment donné il s’avérait d’une forme populaire de prélèvement de fonds pour les paroisses du Québec (comme, d’ailleurs, pour de nombreuses œuvres communautaires), tel n’est plus le cas. Aucune paroisse du diocèse de Gatineau ne se sert du bingo pour cueillir des fonds.

Mais même si toutes les paroisses chauffaient au mazout et organisaient des bingos mensuels, l’argument de M. Cholette manque la cible. Mgr Ébacher n’a jamais dit que le jeu en soi était immoral, pas plus que je n’ai affirmé que l’utilisation du pétrole en soi est une menace pour l’environnement. Le problème se présente lorsqu’on abuse d’une chose qui, en petite dose, est tout à fait bénigne.

Il n’y a pas de problème à prendre un bol de crème glacée pour dessert. Mais si j’en consomme deux litres pour dessert, j’ai un sérieux problème. De même y a-t-il un monde de différence entre une soirée de bingo où je peux dépenser cinquante dollars maximums, et une soirée au casino où je peux en brûler des milliers.

Venons-en au pétrole. L’utilisation du pétrole en soi n’est pas problématique. Mais sa surconsommation est en train de détruire notre demeure commune. Le gouvernement canadien ne peut pas atteindre les objectifs qu’il s’est fixés au COP 21 à Paris tout en permettant l’exploitation illimitée des sables bitumineux, ce que favorise le projet d’un nouvel oléoduc dans l’Outaouais. Il faut que nos bottines suivent nos babines.

En se moquant des bingos d’antan ou des quelques paroisses qui n’ont pas encore réussi à s’affranchir du mazout, M. Cholette ne favorise pas un dialogue sérieux sur cet enjeu crucial pour notre avenir. Mais peut-être un dialogue sérieux serait-il moins vendeur pour son poste de radio.


J’invite mes lectrices et lecteurs à bien s’informer sur cette question, à écouter les arguments pour et contre ce projet d’oléoduc et à tirer leurs propres conclusions. Voilà ce que j’ai voulu faire en participant à la manifestation de samedi dernier.

Réponse à M. Roch Cholette, partie I

M. Roch Cholette est animateur de radio ici à Gatineau. Ce matin, il a déploré le fait que j’ai pris la parole lors d’un rassemblement de citoyens qui protestaient le projet d’un nouvel oléoduc dans la région.

Je ne sais pas si M. Cholette croit personnellement tout ce qu’il dit à la radio. Il joue bien le rôle de provocateur, ce qui attire la clientèle et les dollars à son poste. Tout cela est de bonne guerre. Malheureusement, les propos qu’il véhicule sont souvent gobés par des gens peu informés, ce qui peut parfois empêcher un sain dialogue sur des questions importantes.

M. Cholette s’est offusqué de ma prise de parole parce que, selon lui, elle enfreint le principe de la séparation de l’État et de l’Église. Si je comprends bien sa position, il ne faudrait jamais qu’une personne s’exprime publiquement sur un sujet d’actualité à résonnance politique en faisant appel à ses principes religieux. La question qu’il soulève est importante, voire essentielle, si nous voulons progresser dans le vivre ensemble nécessaire à toute société laïque et pluraliste.

Dans le fond, il s’agit de définir la liberté religieuse. Celle-ci se limite-t-elle au simple exercice d’un culte, ou inclut-elle la possibilité de parler de sa foi en public, d’interpeller les acteurs sociaux en fonction de principes inspirés par la foi et de s’engager ouvertement au nom de sa foi dans la construction d’une société ouverte à ces principes?

Je donne un exemple. L’Église catholique est contre la traite des humains. Ai-je le droit, dans une société laïque, de dire pourquoi je m’oppose à cette pratique? Ai-je le droit d’interpeller les politiciens pour qu’ils érigent des lois pour l’empêcher? Est-ce que je peux m’engager comme croyant ou croyante dans la construction d’une société qui refuse toute forme d’esclavage? Si l’on me refuse ce droit, peut-on en même temps m’affirmer que je suis libre de pratiquer ma religion? Je ne le crois pas.

La séparation de l’Église et de l’État veut garantir que le gouvernement n’impose pas de loi qui limiterait la liberté religieuse ou favoriserait une religion aux dépens d’une autre. D’autre part, elle veut garantir qu’aucune religion n’impose sa vision à l’ensemble de la population en réduisant l’État au rôle d’exécuteur de sa puissance dominatrice. Autrefois, il est vrai, le Québec s’est trouvé quelque peu dans la deuxième situation alors que certains gouvernements cherchaient l’assentiment des évêques catholiques avant de passer une loi. Je regrette personnellement qu’il en fût ainsi dans le passé, et je n’ai aucun désir de retourner à cette pratique. Je ne connais aucun évêque québécois qui couve un tel désir. Je crois d’ailleurs que la société québécoise ne l’accepterait jamais. Tant mieux!


Alors, pourquoi M. Cholette s’offusque-t-il qu’un citoyen comme moi prenne la parole librement pour exposer ses convictions personnelles? De quoi a-t-il peur? Je ne lui demande pas d’être d’accord avec moi. Je lui demande simplement de respecter mon droit de pratiquer ma religion et ma liberté de parole… comme je respecte la sienne.

samedi 20 août 2016

Intervention au ralliement de Stop Oléoduc Outaouais

À titre d’archevêque de Gatineau, je suis responsable d’une cinquante de paroisses qui s’étendent le long de la rivière des Outaouais de Fassett et Montebello à l’est jusqu’à Aylmer et Luskville à l’ouest. Vous comprendrez que je suis de près les enjeux liés au bien-être de ces communautés. C’est pourquoi je tenais à être ici aujourd’hui pour ajouter ma voix aux vôtres et réclamer de nos leaders politiques des décisions qui promeuvent le bien commun, la santé des individus et le respect pour notre demeure commune, la terre.

Lors de mon arrivée dans la région il y a cinq ans, l’archidiocèse de Gatineau se préparait à célébrer son 50e anniversaire. Trois grands pèlerinages marquèrent cette fête : une le long de la rivière de la Petite Nation, l’autre le long de la Lièvre et la troisième le long de la Gatineau. Chaque jour, une centaine de personnes endossaient leurs souliers de marche et prenaient en main leurs bâtons de pèlerins pour parcourir une vingtaine de kilomètres. Au fil des trois semaines, une vraie communauté humaine s’est formée, axée sur le respect des différences, l’ouverture à l’autre et la découverte de l’environnement humain et physique que nous traversions. J’ai pu me joindre aux marcheurs à quelques reprises et revivre un peu la grande marche de Compostelle que j’avais faite en 2007. Vous qui venez de marcher le long de la rivière des Outaouais, vous avez vécu une expérience semblable de solidarité, de fraternité et de découverte. On dirait que de marcher ainsi nous faire redécouvrir l’essentiel qui se trouve dans la simplicité, l’ouverture et le respect. Je vous en félicite. Les valeurs dont vous témoignez par cette marche sont des valeurs qui devraient marquer notre vivre ensemble. Ce sont des valeurs qui sous-tendent la réflexion de l’Église catholique sur la crise écologique depuis une cinquantaine d’années.

Ainsi, déjà en 1970, le Pape Paul VI s’adressait à la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture avec ces mots : « La mise en œuvre des possibilités techniques à un rythme accéléré ne va pas sans retentir dangereusement sur l’équilibre de notre milieu naturel, et la détérioration progressive de l’environnement risque, sous l’effet des retombées de la civilisation industrielle, de conduire à une véritable catastrophe écologique... »

Vingt ans plus tard, en 1990, le Pape Jean-Paul II livrait son message annuel pour la paix. Il y affirmait sans ambages que la crise écologique est un problème moral. Il écrivait : « Les intérêts économiques l’emportent sur le bien des personnes, sinon même sur celui de populations entières. Dans ces cas, la pollution ou la destruction de l’environnement sont le résultat d’une vision réductrice et antinaturelle qui dénote parfois un véritable mépris de l’être humain. »

Il y a cinq ans, le Pape Benoît XVI s’adressait au Bundestag, le parlement allemand. Dans ce contexte, il a constaté : « Les jeunes se rendent compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans nos relations à la nature; que la matière n’est pas seulement un matériel pour notre faire, mais que la terre elle-même porte en elle sa propre dignité et que nous devons suivre ses indications... L’importance de l’écologie est désormais indiscutée. Nous devons écouter le langage de la nature et y répondre avec cohérence. »

L’an dernier, le Pape François a publié le document pontifical le plus important sur la question écologique, une lettre encyclique intitulée Laudato Si', sur la sauvegarde de la maison commune. Ce texte magistral fait le point sur la réalité écologique de notre planète et analyse la crise qui nous confronte. Il présente quelques principes qui devraient diriger notre réflexion et notre action en ce domaine. Permettez-moi d’en citer trois.

Dans la première citation, le Pape François constate un fait qui nous concerne ici, aujourd'hui : « L’eau potable et pure représente une question de première importance, parce qu’elle est indispensable pour la vie humaine comme pour soutenir les écosystèmes terrestres et aquatiques. Les sources d’eau douce approvisionnent des secteurs sanitaires, agricoles et de la pêche ainsi qu’industriels... Les eaux souterraines en beaucoup d’endroits sont menacées par la pollution que provoquent certaines activités extractives, agricoles et industrielles. »

Dans la seconde citation, il propose des principes pour la prise de décision : « Dans toute discussion autour d’une initiative, une série de questions devrait se poser en vue de discerner si elle offrira ou non un véritable développement intégral : Pour quoi? Par quoi? Où? Quand? De quelle manière? Pour qui? Quels sont les risques? À quel coût? Qui paiera les coûts et comment le fera-t-il? Dans ce discernement, certaines questions doivent avoir la priorité. Par exemple, nous savons que l’eau est une ressource limitée et indispensable, et y avoir accès est un droit fondamental qui conditionne l’exercice des autres droits humains. Ceci est indubitable et conditionne toute analyse de l’impact environnemental d’une région. »

Dans la troisième citation, il parle de l’importance d’écouter la voix des citoyens et des citoyennes : « À la table de discussion, les habitants locaux doivent avoir une place privilégiée, eux qui se demandent ce qu’ils veulent pour eux et pour leurs enfants, et qui peuvent considérer les objectifs qui transcendent l’intérêt économique immédiat. Il faut cesser de penser en terme d’“interventions” sur l’environnement, pour élaborer des politiques conçues et discutées par toutes les parties intéressées. »

L'exemple des papes, en particulier du Pape François, me pousse à me tenir avec vous dans la solidarité aujourd'hui et à vous féliciter, vous appuyer et vous encourager. Puisse ma pauvre voix s'ajouter aux milliers de voix qui exigent le respect de la terre. Permettez-moi de finir avec une petite prière composée par le Pape François :


Dieu Tout-Puissant qui es présent dans tout l’univers
et dans la plus petite de tes créatures,
répands sur nous la force de ton amour pour que
nous protégions la vie et la beauté.
Guéris nos vies,
pour que nous soyons des protecteurs du monde
et non des prédateurs,
pour que nous semions la beauté
et non la pollution ni la destruction.
Touche les cœurs
de ceux qui cherchent seulement des profits
aux dépens de la terre et des pauvres.
Apprends-nous à découvrir
la valeur de chaque chose,
à contempler, émerveillés,
à reconnaître que nous sommes profondément unis
à toutes les créatures
sur notre chemin vers ta lumière infinie.
Merci parce que tu es avec nous tous les jours.
Soutiens-nous, nous t’en prions,
dans notre lutte pour la justice, l’amour et la paix. Amen.