mercredi 28 mars 2012

Κένωσις et Kύριος

Lire Philippiens 2,6-11

Nous connaissons le livre des psaumes: un des livres de l’Ancien Testament, il contient cent cinquante poèmes à la gloire de Dieu. Ils avaient été rédigés au fil des siècles et collectionnés pour en un faire un recueil à peu près cinq cents ans avant Jésus-Christ. Ces poèmes nourrissaient la prière quotidienne des Juifs. Jésus et ses apôtres les ont souvent priés.

Les premiers chrétiens, venus du judaïsme, continuèrent à se servir de ces poèmes dans leur liturgie et leur prière quotidienne. Mais ils ont aussi composé de nouveaux poèmes afin de glorifier Dieu à cause de Jésus-Christ. Pour les distinguer des psaumes, on les appelle des cantiques. Plusieurs d’entre eux sont cités dans les lettres de Paul. La deuxième lecture de ce dimanche des Rameaux nous en présente justement un.

Ce cantique a comme sujet principal la vie de Jésus, qu’il présente en deux mouvements : un premier mouvement descendant, commençant par la venue de Jésus au monde et s'achevant par sa mort sur la croix; et un second mouvement ascendant, qui comprend la résurrection et la glorification de Jésus. Pourquoi la vie terrestre de Jésus est-elle ainsi comprise comme un mouvement de descente? Parce que Jésus s’abaisse : il s’abaisse en devant humain, en se faisant pauvre et serviteur, en allant jusqu'à la mort. Et même la forme de sa mort est humiliante, car il est crucifié comme un meurtrier. Le cantique se sert d’un mot grec pour exprimer cette idée, kénosis. C’est un mot difficile à traduire : il évoque l’image de quelque chose qui se vide de son contenu, qui s’appauvrit en se répandant. C’est l’image centrale du cantique : Jésus se vide de sa gloire et de sa puissance, il s’appauvrit radicalement en répandant son sang sur la Croix.

Mais ce mouvement descendant n’est que le prélude à un mouvement ascendant. Un peu comme une athlète s’élève d’autant plus haut sur le tremplin qu’elle a réussi à s’enfoncer dans la toile, Jésus est élevé à un niveau qui dépasse de toute proportion son abaissement. Cette élévation dans la gloire découvre le sens profond de son abaissement : il semblait que Jésus s’était vidé sur la croix, mais il n’avait fait qu’ouvrir un espace pour l’Esprit de son Père. Son appauvrissement était plutôt un enrichissement : d’abord pour nous qui sommes sauvés; ensuite pour le monde qui reconnaît comme Seigneur; enfin pour Jésus lui-même qui est élevé au-dessus de tout.

Le signe de cette élévation, c’est le nouveau nom qui lui est donné, un nom qu’il n’avait pas eu durant sa vie terrestre, car c’est un nom qui appartient à Dieu lui-même. Ce nom, en grec, c’est Kyrios; on le traduit en français par Seigneur.

Ainsi, la clé de lecture de ce cantique se trouve en deux mots grecs : kénosis et Kyrios; appauvrissement et Seigneur. Ces deux mots s’avèrent aussi une clé de lecture pour toute la Semaine sainte que nous inaugurons : car du dimanche des Rameaux au Samedi saint, nous suivrons Jésus qui s’abaisse jusqu’à la mort; et de la Vigile pascale à la Pentecôte, nous célébrerons Jésus, le Seigneur de gloire.

Ce cantique résume admirablement notre foi. Qu’il soit aussi une prière accompagnant notre cheminement de la Semaine sainte. Et qu’il soit pour nous appel à suivre Jésus dans ce double mouvement : car ce n’est qu’en mourant à nous-mêmes que nous connaîtrons la vie en abondance.

mercredi 21 mars 2012

L'obéissance, chemin d'amour

Lire Hébreux 5, 7-9

Quand j’étais enfant, je pensais pouvoir négocier avec Dieu. « Seigneur, si je vais à la messe tous les jours cette semaine, fais que mon père me donne une bicyclette. » Ou encore : « Seigneur, si je ne mange pas de bonbon durant le carême, fais que je passe tous mes tests. » Pour un enfant, c’est normal. L'enfant projette sur Dieu sa façon de vivre les relations humaines. Pour lui, la récompense est une fonction d’un comportement acceptable. Il entend : « Mange tous tes pois verts, et tu auras du dessert. » Ou encore : « Partage ton jouet avec ton frère et tu pourras aller au cinéma cet après-midi. » Pour un enfant, obéir est la condition nécessaire à la récompense qu’il espère. On ne doit pas s'attendre à plus d'un enfant.

Le problème surgit lorsqu’on transpose cette attitude enfantine dans notre vie spirituelle. Une telle approche immature fait fausser le sens du texte d’aujourd’hui. On y lit : « Le Christ, parce qu’il s’est soumis en tout, a été exaucé. » Et on s’imagine que Jésus aurait négocié avec son Père : « Si j’accepte de souffrir, alors tu me ressusciteras, non? » On s'imagine que Jésus aurait reçu sa récompense parce qu’il avait fait ce qu’on son Père voulait. Mais on n’aurait rien compris.

Car pour Jésus, se soumettre et obéir n’est pas simplement accepter de faire ce que veut son Père afin de se mériter une récompense. Il s'agit d'une réalité autrement plus profonde que cela. De fait, Jésus désire vivre en parfaite union de pensée et de volonté avec son Père. Il accepte de mourir à lui-même et à ses propres idées pour embrasser totalement le plan de son Père et le réaliser avec tout son être. Jésus ne cherche pas de récompense, il cherche à aimer. Et n'est-ce pas cela, l'amour : chercher à vivre parfaitement uni à l'autre?

Voilà pourquoi, dans un autre passage, l’auteur de la lettre aux Hébreux ne dit pas seulement que Jésus « a offert sa prière et sa supplication à Dieu », il affirme que Jésus « s’est offert lui-même ». Ce don qui va jusqu’à la mort exprime l’union parfaite entre le Père et le Fils dans l’Esprit. Voilà la source de la « perfection » de Jésus dont parle l'auteur.

Après avoir ainsi médité sur ce don total du Christ, l’auteur nous invite à faire de même. À notre tour, nous devons apprendre à obéir au Fils, non pas comme un enfant qui obéit de l’extérieur afin d’avoir une récompense, mais comme un adulte qui cherche à s’unir à la volonté de celui qu’il aime. Voilà la source du salut, « la cause du salut éternel » : mourir à soi-même afin de s’unir parfaitement à la Vie.

Plus de place alors pour la négociation, seulement pour le don généreux et l’amour inconditionnel. Voilà ce que nous apprend la Croix du Christ. Voilà ce que nous devons vivre chaque jour.

mercredi 14 mars 2012

Le futur présent

Lire Éphésiens 2,4-10

Un étudiant universitaire rencontre une jeune femme à une soirée amicale. Il reconnaît en elle une âme sœur : en l’espace de quelques heures se noue entre eux une relation promise à un avenir plein d’espoir. Le lendemain, il rencontre un copain et lui annonce : « C’est elle, ma femme. »

Un scientifique mène des expériences pour trouver la solution à un problème jusqu’à ce jour insurmontable. Et voilà qu’au bout d’années de travail, les résultats sont enfin positifs. Il s’écrie : « Le Nobel est à moi. »

Une athlète aux Jeux olympiques fait sa descente en temps record et, voyant son temps affiché, s’exclame : « J’ai la médaille d’or. »

Il nous arrive ainsi de vivre des événements si bouleversants que nous sommes certains que notre avenir est déjà transformé. On est convaincu : c’est elle que j’épouserai; c’est à moi qu’on accordera le prix Nobel; je gagnerai cette course. Cette conviction d’un avenir certain fait que je peux déjà en vivre : c’est ma femme; le Nobel est à moi; j’ai gagné!

Ainsi en est-il pour Saint Paul alors qu’il contemple l’impact de la résurrection de Jésus dans sa propre vie. Il en est sûr, son avenir est transformé, car il ressuscitera avec le Christ, il connaîtra la gloire avec le Sauveur. Cette certitude est si intense qu’il se réjouit déjà de cet avenir promis et il s’exprime au passé : « Il nous a fait revivre… il nous a ressuscités… Il nous a fait régner aux cieux. »

Pour Saint Paul, la promesse est tellement sûre qu’on peut la considérer comme déjà réalisée. Et on peut déjà en vivre les conséquences. C’est pourquoi Paul peut connaître la joie au milieu des épreuves, le calme aux jours de tempête, l’amour au cœur de la solitude. Cette possession d’un bonheur promis lui permet de vivre pleinement en suivant la volonté de Dieu, de prendre sa croix et de suivre le Christ. Car il sait que la mort n’aura pas le dernier mot. La mort est déjà vaincue par la vie.

Paul n’a pas toujours vu les choses ainsi. Dans ses premières lettres, par exemple aux Romains et aux Galates, il parle du salut au futur : c’est à la fin des temps qu’il ressuscitera. Mais au terme d’années de prière et de réflexion intenses, sa perception s’est transformée. Dans ces dernières lettres que sont celles aux Éphésiens et aux Colossiens, il voit l’avenir déjà présent dans sa vie. Nous aussi, nous sommes invités à faire ce cheminement spirituel afin de saisir que la promesse est déjà réalisée. Avec Paul, chantons la victoire du Christ, vivons notre victoire avec lui. C’est déjà fait : nous sommes sauvés.

samedi 10 mars 2012

Faiblesse (?) et folie (?) de Dieu

Lire I Corinthiens 1, 18.22-25

Imaginons un jeune qui a grandi en écoutant uniquement de la musique populaire : rap, rock, musique de film. Voilà qu’à seize ans, on lui fait écouter de la musique classique. Quelle sera sa réaction ? Probablement de l’indifférence, sinon du dégoût. Il trouvera que cette musique n’a aucun rythme, aucune émotion. Il sera dérouté par la complexité harmonique et orchestrale de la pièce. La qualité de l’interprétation le dépassera complètement.

Cela n’est pas surprenant. Il n’a aucun contexte pour apprécier cette musique. Ses critères de jugement ne sont pas ceux de la musique classique. Entre son expérience et cette musique, le décalage est trop grand.

Ainsi en était-il pour les Juifs et les Grecs du temps de Jésus. Le message de Jésus, sa vie surtout, ne cadrait pas avec leurs critères habituels. Les Juifs voulaient des signes de puissance, des miracles. Les Grecs voulaient des discours habiles, de la philosophie. Et l’Évangile nous présente un Christ impuissant, crucifié sur la croix, silencieux et insignifiant. Du moins, tel est le jugement de la plupart des Juifs et des Grecs de l’époque.

Revenons à notre jeune. Imaginons qu’il décide d’écouter un peu plus à cette musique classique qui lui est tellement étrangére. Imaginons qu’il l’écoute sérieusement, avec attention. Il décide de « donner une chance » à cette musique. Peut-être sera-t-il touché par un passage, peut-être une pièce éveillera-t-elle quelque chose dans son cœur ? Il reviendra alors à ce passage, à cette pièce. À partir de là, il explorera un peu plus le répertoire de cette musique qu’il commence à apprécier. Au fil des mois, des ans, il découvre que cette musique est profondément rythmée, qu’elle peut faire surgir des émotions bouleversantes avec une puissance insoupçonnée. Don évaluation de la musique populaire change : il la trouve un peu superficielle à comparer avec une musique qui a traversé les âges et qui continue à toucher les esprits et les cœurs.

De même en était-il pour les premiers Chrétiens. Ils ont décidé d’écouter et d’étudier l’enseignement de Jésus et ont commencé à y découvrir une vraie sagesse. Ils ont regardé sa vie et, cachée sous la faiblesse, ont reconnu la puissance de l’amour divin. Le Christ est devenu pour eux la vraie sagesse, la vraie puissance.

Qu’en est-il de nous, aujourd’hui ? Jugeons-nous le message et la vie de Jésus à partir de nos critères personnels qui ont été formés surtout par les médias, nos lectures superficielles, nos discussions avec nos voisins ? On risque alors de ne voir que folie et faiblesse dans l’Évangile. Ou bien oserons-nous vraiment nous mettre à l’école de Jésus, chercher à comprendre son message comme de l’intérieur, contempler sa vie à la lumière de l’Esprit ? Alors nous découvrirons qu’il est vraiment la sagesse et la puissance de Dieu.