vendredi 9 avril 2021

De la fragilité - homélie de la messe chrismale 2021

 

Comme je l’ai souligné au début de cette célébration, nous vivons la semaine sainte dans un contexte de pandémie pour la deuxième fois. L’an dernier, cette crise de santé publique nous a tous surpris. Toute la société s’est barricadée. Nos églises se sont fermées. Le pape François est sorti seul, sur la place St-Pierre, avec un ostensoir pour bénir le monde souffrant. Dans le silence de cette grande place vide, on pouvait entendre résonner de loin la sirène d’une ambulance, symbole des drames humains qui se déroulaient un peu partout sur la terre.

Cette année, nous comprenons mieux cette maladie. Nous savons comment nous protéger. De nouveaux vaccins promettent un avenir meilleur. Nous pouvons nous rassembler prudemment dans nos églises pour célébrer. Malgré tout, une troisième vague s’annonce qui pourrait être la pire. Notre région est particulièrement surveillée à cause d’une forte recrudescence dans le nombre de cas de la COVID. Nous ne sommes pas encore sortis du bois!

L’impact sur nos vies personnelles, sur notre société et sur notre Église est énorme. Comme vous, je réfléchis à tout cela, je porte cela dans ma prière. Dans ces temps de silence et de méditation, un mot ne cesse de me venir à l’esprit : fragilité.

Dans cette pandémie, nous nous sentons profondément fragiles. Nous reconnaissons la fragilité de notre santé, tant émotionnelle que physique. Nos relations nous semblent plus fragiles, comme notre vie en société. Que dire de nos communautés paroissiales qui font face à une précarité déstabilisante!

The pandemic we have been enduring for more than a year has made us all aware of our deep fragilities, be it at the personal or the social level. We see these fragilities exposed around us, we experience these fragilities in our lives and in our families. What does this have to say about our basic human condition? How does our Christian faith shed light and understanding on this reality?

J’ai fait un peu de recherche pour découvrir que le concept de fragilité est à la mode. En s’en sert en gérontologie pour évaluer l’évolution de la santé globale des aînés. Dans le monde du développement international, on étudie la fragilité des états, pour ne pas dire les divers états de la fragilité mondiale. Récemment, un philosophe français publié un important essai sur l’évolution du concept de fragilité dans la pensée occidentale.

Voici ce que j’en retiens. Qui dit fragile, dit fracture. Les deux mots viennent de la même source latine. Ce qui est fragile risque d’être fracturé. Pensons à un vase de cristal : on pourra admirer sa beauté pendant des siècles, mais s’il tombe par terre, sa beauté est perdue à tout jamais.

Non seulement la pandémie nous rend-elle plus fragile, elle révèle nos fragilités, les nombreuses lignes de faiblesse qui, sous l’effet d’un seul choc, peuvent devenir des fractures dramatiques. Pensons-y : l’arrêt de l’activité humaine l’an dernier a permis de redécouvrir dans certaines grandes villes un ciel bleu et un chant d’oiseaux qu’on avait oublié, rappel de la pollution massive à laquelle nous nous sommes habitués. Les secteurs les plus pauvres de nos sociétés ont été les plus durement touchées par la pandémie, nouveau rappel des inégalités qui fractionnent la communauté humaine.

Encore aujourd’hui, plus de 150 pays n’ont reçu aucun vaccin. Pensez-vous qu’il y a des pays riches parmi eux? L’arrêt des activités à l’extérieur de la maison nous a renvoyés vers la vie familiale, avec ses richesses pour certains, mais avec ses pauvretés et ses violences pour d’autres. Pour plusieurs, il n’y a pas de famille, il n’y a que la solitude.

De plus, chacun, chacune de nous est confronté à sa fragilité personnelle. Nous sommes fatigués de ce confinement imposé, frustrés de ces règles continuellement changeantes, anxieux devant l’avenir : et ça provoque des moments d’impatience, des pertes d’énergie, des replis égoïstes, des évasions malsaines, des dépressions. Nous avons plus de temps pour méditer et prier… mais avons-nous le goût de méditer et de prier? La pandémie nous enlève même cela.

Les textes de la messe chrismale nous rappellent que Jésus est venu à la rencontre de notre fragilité. Il a été envoyé précisément auprès des personnes les plus fragiles : les petits de ce monde, les opprimés, les endeuillés et les cœurs brisés. Ne sommes-nous pas tous inclus dans cette visée? Devant la pandémie, nous sommes bien petits; elle nous opprime; elle cause bien des deuils; elle brise bien des cœurs. Nous avons tous besoin de la présence de Jésus, de sa parole de vie, de son Esprit de paix, de son amour qui guérit.

The readings of the Chrism Mass remind us that Jesus was sent to those who experience the greatest fragilities: the humble, the oppressed, those who mourn and whose heart is broken. As we experience this pandemic, we recognize that we are all fragile.

We all need the loving presence of a God who heals, who consoles and who gives hope. What is truly amazing is that God does this by taking on our own fragility!

N’oublions pas que Jésus a accompli sa mission en prenant sur lui notre propre fragilité. Au cœur du texte de l’Apocalypse qui nous présente une vision glorieuse et majestueuse du Christ ressuscité, l’auteur nous rappelle que celui vers lequel nous levons les yeux est le « transpercé », le crucifié. Pensons-y : Jésus nous a sauvés par sa fragilité!

Se peut-il qu’il nous ait ainsi fait découvrir ce que nous n’aurions jamais pu imaginer : que Dieu lui-même est fragile? Le Dieu de Jésus n’est pas un souverain inatteignable, fort de son immortalité et tout-puissant… mais un Père qui nous aime avec un cœur de Mère, qui vient vers nous dans la tendresse nous offrir sa miséricorde et son amour. On pourrait dire qu’il y a en Dieu une ligne de fracture : c’est son amour pour nous. À cause de cet amour, Dieu s’inquiète. Il ne dort pas la nuit, il se fait du sang de cochon. Il souffre parce que nous souffrons, il pleure parce que nous pleurons. Et il vient vers nous, en son Fils Jésus, prendre sur lui nos misères et nos péchés pour les ensevelir en lui et nous faire revivre. Quelle merveille!

En retour, Dieu nous demande de poursuivre son œuvre, de prendre sur nous la mission de son Fils Jésus. Dieu nous consacre par son onction pour, qu’à notre tour, nous prenions sur nous la fragilité des autres pour les faire vivre.


 

L’an dernier, j’ai reçu une orchidée pour ma fête. Elle était superbe. Mais j’ai dû apprendre à la soigner, car c’est une plante fragile. Il faut y mettre du temps, de la patience, de l’attention; lui trouver le juste éclairage; l’arroser juste assez. En apprenant à soigner sa fragilité, je m’ouvre à la possibilité de jouir longtemps de sa beauté.

Pour Dieu, nous sommes tous et toutes des orchidées. Dieu nous prend soin de nous avec tendresse, avec patience, avec attention. Et il nous invite à prendre soin les uns des autres de la même manière. Que cette pandémie nous apprenne à reconnaître nos nombreuses fragilités, à les apprivoiser et à les soigner, afin de faire jaillir la vie en ce monde avec Jésus.

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