Comme
je l’ai souligné au début de cette célébration, nous vivons la semaine sainte
dans un contexte de pandémie pour la deuxième fois. L’an dernier, cette crise
de santé publique nous a tous surpris. Toute la société s’est barricadée. Nos
églises se sont fermées. Le pape François est sorti seul, sur la place
St-Pierre, avec un ostensoir pour bénir le monde souffrant. Dans le silence de
cette grande place vide, on pouvait entendre résonner de loin la sirène d’une
ambulance, symbole des drames humains qui se déroulaient un peu partout sur la
terre.
Cette
année, nous comprenons mieux cette maladie. Nous savons comment nous protéger.
De nouveaux vaccins promettent un avenir meilleur. Nous pouvons nous rassembler
prudemment dans nos églises pour célébrer. Malgré tout, une troisième vague
s’annonce qui pourrait être la pire. Notre région est particulièrement
surveillée à cause d’une forte recrudescence dans le nombre de cas de la COVID.
Nous ne sommes pas encore sortis du bois!
L’impact
sur nos vies personnelles, sur notre société et sur notre Église est énorme.
Comme vous, je réfléchis à tout cela, je porte cela dans ma prière. Dans ces
temps de silence et de méditation, un mot ne cesse de me venir à
l’esprit : fragilité.
Dans
cette pandémie, nous nous sentons profondément fragiles. Nous reconnaissons la
fragilité de notre santé, tant émotionnelle que physique. Nos relations nous
semblent plus fragiles, comme notre vie en société. Que dire de nos communautés
paroissiales qui font face à une précarité déstabilisante!
The pandemic we have been
enduring for more than a year has made us all aware of our deep fragilities, be
it at the personal or the social level. We see these fragilities exposed around
us, we experience these fragilities in our lives and in our families. What does
this have to say about our basic human condition? How does our Christian faith shed
light and understanding on this reality?
J’ai
fait un peu de recherche pour découvrir que le concept de fragilité est à la
mode. En s’en sert en gérontologie pour évaluer l’évolution de la santé globale
des aînés. Dans le monde du développement international, on étudie la fragilité
des états, pour ne pas dire les divers états de la fragilité mondiale.
Récemment, un philosophe français publié un important essai sur l’évolution du
concept de fragilité dans la pensée occidentale.
Voici
ce que j’en retiens. Qui dit fragile, dit fracture. Les deux mots viennent de
la même source latine. Ce qui est fragile risque d’être fracturé. Pensons à un
vase de cristal : on pourra admirer sa beauté pendant des siècles, mais
s’il tombe par terre, sa beauté est perdue à tout jamais.
Non
seulement la pandémie nous rend-elle plus fragile, elle révèle nos fragilités, les
nombreuses lignes de faiblesse qui, sous l’effet d’un seul choc, peuvent devenir
des fractures dramatiques. Pensons-y : l’arrêt de l’activité humaine l’an
dernier a permis de redécouvrir dans certaines grandes villes un ciel bleu et
un chant d’oiseaux qu’on avait oublié, rappel de la pollution massive à
laquelle nous nous sommes habitués. Les secteurs les plus pauvres de nos
sociétés ont été les plus durement touchées par la pandémie, nouveau rappel des
inégalités qui fractionnent la communauté humaine.
Encore
aujourd’hui, plus de 150 pays n’ont reçu aucun vaccin. Pensez-vous qu’il y a
des pays riches parmi eux? L’arrêt des activités à l’extérieur de la maison nous
a renvoyés vers la vie familiale, avec ses richesses pour certains, mais avec
ses pauvretés et ses violences pour d’autres. Pour plusieurs, il n’y a pas de
famille, il n’y a que la solitude.
De
plus, chacun, chacune de nous est confronté à sa fragilité personnelle. Nous
sommes fatigués de ce confinement imposé, frustrés de ces règles
continuellement changeantes, anxieux devant l’avenir : et ça provoque des
moments d’impatience, des pertes d’énergie, des replis égoïstes, des évasions
malsaines, des dépressions. Nous avons plus de temps pour méditer et prier…
mais avons-nous le goût de méditer et de prier? La pandémie nous enlève même
cela.
Les
textes de la messe chrismale nous rappellent que Jésus est venu à la rencontre
de notre fragilité. Il a été envoyé précisément auprès des personnes les plus
fragiles : les petits de ce monde, les opprimés, les endeuillés et les
cœurs brisés. Ne sommes-nous pas tous inclus dans cette visée? Devant la
pandémie, nous sommes bien petits; elle nous opprime; elle cause bien des
deuils; elle brise bien des cœurs. Nous avons tous besoin de la présence de
Jésus, de sa parole de vie, de son Esprit de paix, de son amour qui guérit.
The readings of the Chrism
Mass remind us that Jesus was sent to those who experience the greatest
fragilities: the humble, the oppressed, those who mourn and whose heart is
broken. As we experience this pandemic, we recognize that we are all fragile.
We all need the loving
presence of a God who heals, who consoles and who gives hope. What is truly
amazing is that God does this by taking on our own fragility!
N’oublions
pas que Jésus a accompli sa mission en prenant sur lui notre propre fragilité.
Au cœur du texte de l’Apocalypse qui nous présente une vision glorieuse et
majestueuse du Christ ressuscité, l’auteur nous rappelle que celui vers lequel
nous levons les yeux est le « transpercé », le crucifié.
Pensons-y : Jésus nous a sauvés par sa fragilité!
Se
peut-il qu’il nous ait ainsi fait découvrir ce que nous n’aurions jamais pu
imaginer : que Dieu lui-même est fragile? Le Dieu de Jésus n’est pas un
souverain inatteignable, fort de son immortalité et tout-puissant… mais un Père
qui nous aime avec un cœur de Mère, qui vient vers nous dans la tendresse nous
offrir sa miséricorde et son amour. On pourrait dire qu’il y a en Dieu une ligne
de fracture : c’est son amour pour nous. À cause de cet amour, Dieu
s’inquiète. Il ne dort pas la nuit, il se fait du sang de cochon. Il souffre
parce que nous souffrons, il pleure parce que nous pleurons. Et il vient vers
nous, en son Fils Jésus, prendre sur lui nos misères et nos péchés pour les
ensevelir en lui et nous faire revivre. Quelle merveille!
En
retour, Dieu nous demande de poursuivre son œuvre, de prendre sur nous la
mission de son Fils Jésus. Dieu nous consacre par son onction pour, qu’à notre
tour, nous prenions sur nous la fragilité des autres pour les faire vivre.
L’an
dernier, j’ai reçu une orchidée pour ma fête. Elle était superbe. Mais j’ai dû
apprendre à la soigner, car c’est une plante fragile. Il faut y mettre du
temps, de la patience, de l’attention; lui trouver le juste éclairage;
l’arroser juste assez. En apprenant à soigner sa fragilité, je m’ouvre à la
possibilité de jouir longtemps de sa beauté.
Pour
Dieu, nous sommes tous et toutes des orchidées. Dieu nous prend soin de nous
avec tendresse, avec patience, avec attention. Et il nous invite à prendre soin
les uns des autres de la même manière. Que cette pandémie nous apprenne à
reconnaître nos nombreuses fragilités, à les apprivoiser et à les soigner, afin
de faire jaillir la vie en ce monde avec Jésus.
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