On dit qu'il y a toujours trois discours: celui qu'on a préparé, celui qu'on a livré, et celui qu'on aurait aimé avoir livré. C'est le texte de ce troisième discours que je vous partage ici.
Vendredi, 28 août, 2020
Jérémie 1, 4-10
Jean 21, 1-14
J’aimerais commencer mon homélie ce soir avec une petite leçon
d’étymologie et de vocabulaire grec. Le mot « évêque » est dérivé d’un
mot grec, épiscopos. Ce mot fait partie d’une famille qui inclut épiscopé,
le nom de la fonction; et de épiskeptomai, le verbe exprimant l’action
de l’épiscopos.
On peut saisir un premier sens de ce mot si on se souvient
que scopos veut dire « regard » ou « vue » en grec.
Ainsi, nous parlons d’un micro-scope pour désigner l’outil qui nous permet de
voir le tout petit; d’un téle-scope qui nous permet de voir très loin; d’un
péri-scope qui permet au commandant de sous-marin de regarder autour de lui; d’un
endo-scope pour regarder à l’intérieur du corps humain.
La petite préposition épi, en grec, veut dire « au-dessus ».
Donc, l’épiscopos, c’est celui
qui regarde d’en haut, littéralement, un « sur-veillant », un « super-viseur. »
De là vient son utilisation dans le monde grec profane pour désigner les hauts
fonctionnaires, les gérants qui doivent, en observant toute chose à partir de
leur poste de haute responsabilité, s’assurer que tout est fait dans l’ordre.
Dans notre monde d’aujourd’hui, beaucoup de gens – même des gens
très chrétiens, peut-être même certains prêtres et évêques – comprennent ainsi
la tâche épiscopale : gérer l’Église, surveiller le fonctionnement du
diocèse et des paroisses, assurer qu’on suive les lois et les règles édictées
par Rome, veiller à l’orthodoxie des prédicateurs et des catéchètes, aux rubriques
de la liturgie et à la fidélité des prêtres.
Et c’est vrai : la tâche d’un évêque comprend une bonne
part de gestion – gestion des ressources humaines, gestion des ressources économiques,
gestion des priorités pastorales, gestion de son temps, et j’en passe…
Mais si l’on réduit la tâche d’un évêque à cette dimension
purement fonctionnelle et technique, on risque de passer à côté de ce qui fait
l’essence de l’épiscopat. Je crois qu’un regard plus attentif à l’utilisation des
mots épiscopos, épiscopé et episkeptomai dans le Nouveau
Testament nous aidera à mieux cerner cette essence.
Pour les premiers chrétiens, celui qui exerce l’épiscopé,
c’est d’abord Dieu. Oui, Dieu regarde d’en haut, il observe les humains. Mais son
regard est rempli d’amour, son regard se fait contemplation de l’être humain,
compassion pour ses enfants, commisération pour ses douleurs. Dieu ne regarde
pas de loin, il s’approche et il visite. C’est ainsi que, dans le Nouveau
Testament, le mot épisocopé est teinté de cette dimension de visite et
de rencontre.
À la naissance de Jean le Baptiste, son père Zacharie loue
Dieu par un long cantique qui commence avec ces mots mémorables : Béni
soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui visite et rachète son peuple. C’est
justement le verbe grec episkeptomai qu’on traduit ici par le verbe français
« visiter ». Dieu exerce son épiscopat en visitant son peuple pour le
racheter.
La prophétie de Zacharie est réalisée lorsque Jésus
ressuscite le fils de la veuve de Naïm. Tout le peuple l’acclame en disant, « Dieu
a visité son peuple! » Encore ici, il s’agit du verbe episkeptomai.
En Jésus, Dieu se fait épiscope de son peuple.
Saint Pierre, dans sa belle méditation sur le Christ
souffrant en croix, culmine avec ce même mot. Permettez-moi de vous lire ce
passage, si riche et signifiant :
C’est
pour vous que le Christ a souffert…Lui-même a porté nos péchés, dans son corps,
sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par
ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des
brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien (l’épiscopos)
de vos âmes.
Ce n’est pas insignifiant que Pierre lie les titres de
berger et d’épiscope : les deux manifestent l’action salvifique de Dieu en
notre faveur, en la personne de Jésus. Les deux titres évoquent la proximité,
la compassion, le souci pour l’autre.
Faisons un autre pas. Jésus a voulu associer les membres
de son Église à ce ministère de la visitation. D’ailleurs, il en fait une règle
pour chacun et chacune de nous, lorsqu’il dit, « J’étais malade…
en prison… et vous m’avez visité… » Encore ici, le verbe est
episkeptomai. Exercer l’épiscopat, pour les disciples de Jésus, c’est visiter
les pauvres, les abandonnés, les laissés-pour-compte. N’est-ce pas en ce sens
que le pape François nous exhorte à être une Église en sortie, une Église qui
va aux périphéries?
Enfin, le Christ confie à quelques-uns de ses disciples une mission particulière : celle d’exercer le ministère de la visitation auprès des communautés chrétiennes, en son nom. Déjà, dans les Actes des apôtres, saint Pierre se sert de cette expression en parlant de la tournée qu’il planifie faire des communautés déjà existantes. Il va les visiter, exercer l’épiskopé pour eux.
Ainsi, mon frère Guy, tu es appelé à ce noble ministère. Par
le sacrement de l’ordre, ce soir, Dieu te configure – grâce à l’action de l’Esprit
– à son Fils Jésus, afin que tu incarnes pour l’Église de Rouyn-Noranda la
compassion active et salvifique du Père.
Devant cet appel, tu pourrais te sentir très petit, comme
Jérémie dans la première lecture. Tu as toutes sortes de raisons pour te sentir
indigne de cette mission. Jérémie se disait trop jeune. Bien avant lui, Abraham
s’était dit trop vieux. Devant la mission que Dieu voulait leur confier, Moïse opposait
son bégaiement; Isaïe, son impureté; Marie, sa virginité; Pierre, son péché.
Toi, tu pourrais opposer ton origine lointaine dans les Cantons de l’est
(quoique les gens de Rouyn-Noranda te le pardonneront facilement, j’en suis
certain…) Mais, comme tant d’autres à qui cette mission a été confiée, les
moments viendront où tu trouveras la tâche d’évêque lourde, ingrate, stérile,
épuisante…
Dans ces moments, Guy, rappelle-toi cette première lecture d’aujourd’hui.
Face à la crainte de Jérémie, Dieu n’a qu’une solution : mettre ses
propres mots dans la bouche de son prophète. Voilà la seule issue, la seule
direction qui peut te porter vers la lumière et te faire redécouvrir la joie.
Dieu met sa Parole dans ta bouche. Il veut que tu la mâches, que tu la goûtes, que
tu l’avales, que tu la digères. Elle te nourrira et te donnera force, courage,
sagesse et lumière. Oui, c’est en méditant et en priant cette parole que tu
deviendras un « visiteur » comme Jésus. Seul l’accueil quotidien de
la Parole vivante de Dieu peut te rendre capable de relever le défi qui t’est
présenté aujourd’hui dans cette ordination, et d’en recevoir toutes les grâces.
Méditons donc ensemble cette belle page d’Évangile que tu as
choisie pour ce soir. Elle nous montre comment Jésus visite les siens. Elle
sera pour toi, comme pour moi et les autres évêques ici présents, une leçon à
retenir et à appliquer.
Quand Jésus s’approche des siens, c’est sans tapage, sans
spectacle. Plutôt, il observe ses apôtres qui se démènent sans succès. Il reconnaît
leurs espoirs, mais aussi leurs échecs. Il ne commence pas par donner de leçon,
mais en leur posant une question : Les enfants, auriez-vous quelque
chose à manger? Il s’inquiète d’eux, il se préoccupe de leur manque de
nourriture.
Tu arrives dans un diocèse qui ressemble
à tous les autres, mais qui ne ressemble à aucun. Comme Jésus, tu auras à observer
avec compassion, à poser des questions, à écouter les gens, à découvrir leurs
espoirs et leurs déceptions afin de les connaître. Quand Jésus visite, il
commence par s’approcher, par écouter. Fais comme lui.
Ensuite, Jésus leur lance un conseil, accompagné d’une
parole d’encouragement : Jetez le filet à droite de la barque, et vous
trouverez! De même, la parole de l’évêque doit d’abord être une parole qui
relève, qui relance et qui soutient. À force de chercher à corriger les
erreurs, on écrase les gens; mais en les aidant à découvrir de nouvelles façons
de faire, en leur donnant de l’espérance, nous les relevons.
De même, tu devras trouver le mot
qui éveille, le geste qui guérit, la façon de faire qui élève et renouvelle. Si
tu sèmes l’espérance et la joie sur ta route, tu peux être certain que tu exerces
l’épiskopé à la manière de Jésus.
Arrivés auprès de Jésus, les apôtres se rendent compte qu’il
leur a préparé un petit déjeuner. Dans ce geste, nous reconnaissons le Christ
serviteur qui se donne pour ses amis. J’ai souligné plus haut comment la visitation
de Dieu est liée à la rédemption qu’il effectue. C’est parce qu’il est l’agneau
immolé que le Christ peut vraiment être notre bon berger.
Tu as été ordonné diacre un jour,
Guy. N’oublie jamais cette configuration au Christ serviteur. L’ordination à l’épiscopat
n’efface pas ton ordination diaconale ; elle est plutôt construite sur le
diaconat comme sur une fondation sûre. Le Christ nous l’a dit : « Qui
veut être premier parmi vous, qu’il se fasse le dernier. Car je suis venu parmi
vous non pas pour être servi, mais pour servir. » Le don de soi, jusqu’au
prix de la vie, voilà la forme que prend l’amour dans la vie d’un évêque. Que l’Esprit
te configure au Christ de plus en plus, afin que ton ministère prenne cette dimension
cruciforme qui donnera sens à ton ministère.
Continuons. Le Christ demande aux apôtres « Apportez
donc de ce poisson que vous venez de prendre. » C’est un peu
surprenant, n’est-ce pas? Pourquoi a-t-il besoin de leur poisson, il a déjà
tout préparé? Mais justement, il ne veut pas tout faire par lui-même. Il veut
nous associer à son œuvre. Il veut que d’autres s’engagent à la mission qui est
d’abord la sienne.
En acceptant d’être ordonné
aujourd’hui, Guy, tu viens mettre un peu de ton poisson dans le plat préparé
par Jésus. Il est heureux que tu acceptes ainsi de collaborer à son œuvre. Comme
lui, n’ait pas peur d’inviter les autres aussi à venir ajouter leurs poissons à
la chaudrée que tu prépares. Elle ne sera pas tout à fait comme tu l’avais
prévue, mais je te garantis qu’elle aura meilleur goût du fait que chacun,
chacune y aura mis du sien. Oui, éveille les dons et les charismes des autres,
invite-les à s’engager à la mission, accueille leurs idées, leurs énergies,
leurs questions et leurs façons de faire. Ensemble, avec le Seigneur, tu
pourras faire des merveilles.
Enfin, Jésus invite ses apôtres : « Venez
manger ». Il prend le pain et le leur donne; et de même pour le
poisson. Ces mots, ces gestes évoquent pour nous la merveille qu’est l’Eucharistie,
dans laquelle Jésus se fait lui-même notre nourriture. Cette Eucharistie est
source et somment de la vie ET de la mission de l’Église.
Je t’invite à être, au cœur de cette
Église locale, l’homme de l’Eucharistie, qui rassemble, nourrit et envoie le
peuple au nom du Christ. Là se vérifiera la qualité de ton ministère, là tu
gouteras le fruit le plus savoureux de ton épiscopé. Telle est mon
expérience à moi.
Guy, en disant « oui » au Seigneur aujourd’hui, tu
acceptes de t’engager dans une œuvre de beauté et de bonté, celle d’être auprès
de ce peuple la visitation de Dieu et de son fils, Jésus. Que l’Esprit t’aide à
accueillir pleinement ce don et cette mission, et qu’il t’accompagne dans sa
réalisation au jour le jour.
Mes frères, mes sœurs, prenons ensemble un moment pour
invoquer cet Esprit en écoutant un chant qui, pour nous, sera notre prière pour
notre nouvel évêque, Guy, et pour tout le Peuple de Dieu à Rouyn-Noranda.
Un tres beau texte, + Paul-Andre; merci infiniment!
RépondreEffacerGrand merci!
EffacerQuel beau programme, intelligent, pastoral, bien structuré et enraciné dans une actualisation biblique fort intéressante!
RépondreEffacerDu vrai Paul-André!
Bravo et merci!