dimanche 30 septembre 2012

Le profit ou la personne?



Lire Jacques 5,1-6

Il arrive parfois que des chefs religieux, des évêques par exemple, se prononcent publiquement sur des questions d’économie ou de justice sociale. Ils attaquent des structures injustes ou des politiques myopes qui entretiennent la pauvreté d’une si grande partie de la race humaine.

Souvent, les responsables de ces politiques répondront que les chefs religieux devraient s’en tenir aux seules questions religieuses. Ces responsables évitent ainsi les vraies questions en s’attaquant à la compétence de ceux qui les critiquent.

Mais ces derniers ne font que suivre l’exemple des prophètes de l’Ancien Testament et des apôtres comme saint Jacques. Car la mission des prophètes et des apôtres n’est pas seulement d’annoncer la Bonne Nouvelle, mais de dénoncer ce qui dans le monde est contraire à la volonté de Dieu.

Dénoncer n’est pas une tâche aisée. On s’attire des bosses lorsqu’on affirme que certaines situations sont inacceptables. On a lapidé les prophètes parce qu’on n’aimait pas leurs messages. On a tué Jésus plutôt que d’écouter son appel à la conversion et à la transformation. La tradition veut que tous les apôtres sauf saint Jean soient morts martyrs.

Mais les disciples du Christ se sentent obligés de lutter pour le bien de toute la personne humaine, pas seulement son âme. Aimer quelqu’un veut dire chercher son bien d’abord et avant tout, et chercher tout son bien.

Les versets que nous lirons ce dimanche nous présentent une dénonciation sévère des riches. Non pas que saint Jacques voit la richesse en elle-même comme un mal. Il s’en prend plutôt à ces richesses accumulées par la voie de l’injustice et de l’oppression. Il dénonce les personnes qui s’enrichissent en volant leurs employés, en exploitant leurs faiblesses, en écrasant les pauvres.

Ce que saint Jacques dénonce, c’est l’amour de l’argent qui prime sur l’amour des personnes. Ce qu’il dénonce, c’est un système économique qui met la recherche du profit avant la quête du bien; un système où la personne n’est vue qu’en termes de ce qu’elle peut produire ou consommer.

Le Royaume de Dieu est un Royaume où les relations sont plus importantes que le profit, où l’on reconnaît la dignité de chaque personne, où règne la justice. En s’engageant pour ce Royaume, les disciples du Christ écraseront peut-être quelques orteils. C’est le prix à payer lorsqu’on lutte pour la justice et pour la paix.

mercredi 19 septembre 2012

Lutte aux convoitises



Lire Jacques 3,16 - 4,3

Chaque pays qui participe aux Jeux olympiques tente de former son « équipe de rêve » dans tel ou tel sport. On choisit les meilleurs joueurs des ligues professionnelles dans l’espoir qu’ils réussiront à vaincre les meilleurs joueurs des autres pays.

Malheureusement, il arrive assez souvent que ces équipes ne rendent pas les résultats espérés. L’équipe de rêve se révèle une équipe assez morne, incapable de jouer à la hauteur des attentes et des espoirs des partisans. Pourquoi?

Ce n’est pas que ces athlètes ont perdu leurs qualités ou aptitudes personnelles : ils demeurent les meilleurs de leur sport. Mais ils n’arrivent pas à jouer comme équipe. Souvent, le statut de vedette leur monte à la tête. Ils ont de la difficulté à collaborer. Ils cherchent leur propre gloire, leur propre bienfait. Ils pensent pouvoir réussir seuls, là où ça prendrait un effort collectif. Les égoïsmes, les fiertés viennent briser l’élan d’équipe.

C’est un peu ce que saint Jacques essaie de nous dire dans le passage de sa lettre que nous lisons ce dimanche. Il veut nous faire comprendre que nos convoitises sont la source des mésententes, des conflits qui surgissent entre nous. Convoitise : ce mot qu’on utilise rarement désigne pourtant une réalité beaucoup trop habituelle. Nos convoitises, c’est ce que nous désirons pour nous-mêmes, sans égard pour le bien des autres. Je veux mon confort, ma gloire, mon plaisir, ma manière de faire. Je veux que ma volonté soit faite.

Lorsque chacun se laisse mener par ses propres convoitises, la vie sociale s’effrite, la communion entre les personnes est blessée, les conflits et les divisions se multiplient. Comme une « équipe de rêve » qui ne réussit à marquer aucun but, notre vie commune n’arrive pas à la hauteur de ce que nous pourrions espérer. Lorsque chacun tire sur son bout de couverture, personne n’est au chaud.

Le bien commun : voilà ce qu’il faut rechercher. Saint Jacques nous invite à surmonter nos convoitises pour chercher le bien des autres. Il nous lance le défi de ne pas vivre pour nous-même, mais de vivre pour les autres en mettant nos talents et nos habiletés au service de notre famille, de notre village, de notre communauté, de notre monde.

Lorsque les athlètes sont prêts à sacrifier leurs ambitions personnelles pour rechercher le  bien de l’équipe, c’est alors qu’ils connaissent le succès. Lorsque nous sacrifions nos convoitises pour le bien commun de tous, c’est alors que la vie en communauté peut fleurir. C’est alors que tous peuvent connaître la paix, la solidarité, la joie.

Sans le savoir, nous faisons tous tous partie d’une équipe de rêve, l’équipe du Seigneur. C’est en recherchant le bien commun qu’avec lui, nous vaincrons.

mercredi 5 septembre 2012

Riches et pauvres



Lire Jacques 2, 1-5

Il y a quelques tests fondamentaux qu’une personne qui se dit chrétienne doit pouvoir confronter et réussir. Un premier, c’est d’aimer son ennemi. Un second, c’est de considérer les pauvres avec respect.

C’est ce deuxième test dont nous parle Saint Jacques aujourd’hui. Dans les deux cas, il s’agit de voir au-delà des événements et des apparences la dignité fondamentale de chaque personne humaine. Dans le premier, je peux ne pas m’entendre avec quelqu’un, ça ne l’empêche pas d’être fils ou fille de Dieu comme moi, un frère ou une sœur que je dois chercher à aimer. Dans le second, je peux remarquer la grande pauvreté d’un autre, ses habits sales, ses manières abruptes : ça ne justifie pas mon jugement négatif ni mon regard hautain. Lui aussi, elle aussi, comme moi, est fils ou fille de Dieu. Aux yeux de Dieu, elle a plus de valeur que tout l’or et l’argent du monde. Est-ce que je ne dois pas la voir avec les yeux de Dieu?

Et si je suis pauvre, est-ce que je ne dois pas dépasser les jugements que la société porte sur moi? Éviter d’adopter le regard des autres, de me dénigrer, de me considérer négativement, de refuser de  reconnaître mon potentiel ou ma valeur. Je n’ai pas été fait pour un petit pain; Dieu ne m’a pas oublié. Au contraire, c’est comme un pauvre que Dieu est venu sur la terre. C’est auprès des pauvres qu’il a exercé son ministère. C’est avec les pauvres qu’il a vécu. Et les premiers chrétiens, c’étaient surtout des pauvres. Jésus n’a-t-il pas dit : « Heureux les pauvres, le Royaume des cieux est à eux. »

Et si je suis riche, je dois lutter contre la tentation de me considérer en fonction de mes richesses. Comme si ma valeur était proportionnelle à mes acquis, comme si ma personne se mesurait en fonction de mon argent. Je dois reconnaître que je suis fait, non pour posséder, mais pour aimer. Et si mon argent peut me permettre d’aimer encore plus de personnes en faisant le bien pour elles, je dois ouvrir mon portefeuille et partager mon trésor. Car mon bonheur ne dépend pas de ce que j’ai, mais de ce que je suis.

Tous, nous sommes fascinés par l’argent. Mais la richesse, dans notre monde, est trop souvent construite sur la pauvreté des autres. Il y a une injustice flagrante au cœur de notre monde qui fait qu’une petite minorité peut gaspiller des millions alors qu’une immense partie du monde souffre de faim.

Alors, partageons. Travaillons pour la justice. Ne jugeons pas. Reconnaissons l’égale dignité de chaque être humain. Et apprenons à voir Jésus lui-même dans le sacrement du pauvre.

mardi 28 août 2012

Plus qu'un texte...

Lire Jacques 1, 17-27

La liturgie de ce dimanche nous propose un extrait de la lettre de Jacques où le thème de la Parole de Dieu a une place importante. Saint Jacques nous rappelle que cette Parole est un don, un cadeau pour notre vie. Il propose deux comparaisons : la Parole de Dieu est comme une semence en nous; et la personne qui écoute la Parole sans la mettre en pratique, c’est comme quelqu’un qui se regarde dans le miroir et qui oublie, en se détournant, de quoi il a l’air.

Lorsque un chrétien entend l’expression « la Parole de Dieu, » il pense d’abord au texte de la Bible. Pourtant, dans la tradition chrétienne, la Parole de Dieu n’est pas d’abord un texte.

On dit parfois que le judaïsme, le christianisme et l’islam sont des religions du livre. Mais il me semble que cette expression n’est vraiment juste que pour l’islam qui voit, dans le Coran, un texte dicté par Dieu. Pour le judaïsme et le christianisme, au contraire, la Parole de Dieu est d’abord une série d’événements arrivés dans l’histoire. Pour ces deux religions, la Parole de Dieu, c’est Dieu qui agit dans le monde. Car sa Parole est efficace, active, dynamique. Il crée par sa Parole. Il fait surgir la vie par sa Parole. Sa Parole libère et sauve.

Ces événements doivent ensuite être compris et interprétés. L’interprétation, guidée par l’action de l’Esprit-Saint dans le cœur des témoins, est aussi Parole de Dieu. C’est ce qu’on appelle l’inspiration : l’action de Esprit qui aide à comprendre les événements où Dieu s’engage et se révèle.

Enfin, ces événements et leur interprétation sont racontés, transmis, mis par écrit. Le texte final, la Bible, est aussi appelé « Parole de Dieu. » Mais le texte est l’étape ultime d’un cheminement où Dieu se dit et nous invite à croire en lui.

Pour les chrétiens, l’événement capital par lequel Dieu se manifeste, c’est la venue de Jésus parmi nous. Jésus est la Parole de Dieu incarnée, le « Verbe » fait chair. Dans tout ce que Jésus dit, dans tout ce que Jésus fait, c’est Dieu qui nous parle.

Alors, lorsque saint Jacques nous invite à accueillir la Parole et à la mettre en pratique, il nous invite à plus qu’une simple lecture méditée. Il nous invite à comprendre l’histoire de l’action divine au cœur du monde, à chercher à la comprendre avec l’aide de l’Esprit, à y correspondre en laissant Dieu agir en nous, à notre tour.

La Parole de Dieu, c’est plus qu’un texte : c’est une histoire d’amour dans laquelle nous sommes invités à nous engager.

vendredi 24 août 2012

Une phrase choquante...

Lire Éphésiens 5, 21-32

La deuxième lecture que nous propose la liturgie en ce dimanche est un des passages les plus controversés aujourd’hui parmi tous les textes de Saint Paul. Ces quelques versets de sa lettre aux Éphésiens comprennent la phrase bien connue : « Femmes, soyez soumises à vos maris. » À notre époque qui a vu fleurir le mouvement féministe, mouvement qui a travaillé à faire accepter l’égale dignité de la femme, une telle phrase est reçue comme une insulte. Et prise telle quelle, c’en est une. Mais il faut replacer cette phrase dans un triple contexte : contexte littéraire, contexte poétique et contexte social.

Respecter le contexte littéraire veut dire lire cette phrase avec ce qui la précède et ce qui la suit. Ce qui la précède, c’est une invitation générale à tous les membres de la communauté chrétienne à se soumettre les uns aux autres, par respect pour le Christ. En autres mots, il faut que tous, hommes et femmes, nous développions dans nos rapports les uns avec les autres une attitude d’humilité qui nous fait vraiment écouter l’autre et le respecter comme si c’était le Christ. Paul continue en appliquant cet enseignement général à l’épouse dans sa relation avec son époux. Si on garde en tête que l’enseignement général s’applique à tout le monde, la phrase choquante… choque un peu moins.

Respecter le contexte poétique veut dire comprendre le verbe « se soumettre » comme un synonyme du verbe « aimer. » En effet, la poésie juive aimait doubler les expressions en se servant de synonymes, par exemple : « Que les nations acclament le Seigneur, que tous les peuples chantent son nom. » On retrouve ce genre de dédoublement dans beaucoup de textes juifs. Il ne faut pas chercher à établir un contraste entre « acclamer » et « chanter, » mais plutôt à faire ressortir la ressemblance. En appliquant ce principe, on trouve que la phrase « femmes, soyez soumises à vos maris » est reprise en écho symétrique par la phrase suivante « maris, aimez vos femmes. » Et pour faire comprendre ce parallèle, Paul rappelle que le mari doit aimer sa femme comme le Christ a aimé l’Église, c’est-à-dire en mourant à lui-même pour la faire vivre. N’est-ce pas là une réalité identique à la soumission?

Enfin, il faut respecter le contexte social. Paul n’a pas mis en question les structures sociales de son temps, structures qu’aujourd’hui nous trouvons injustes. Il a accepté tant l’esclavage et la dictature politique que le déséquilibre de pouvoir entre hommes et femmes. Ce qu’il cherchait, c’était la façon de vivre ces réalités selon la foi chrétienne. Depuis le temps de Paul, on a appris que cette foi chrétienne inspire même à transformer ces réalités sociales : à faire disparaître l’esclavage, à promouvoir la démocratie, à trouver le juste équilibre entre hommes et femmes. Mais le souci de Paul demeure d’actualité : trouver une façon de vivre ces réalités qui reflète la foi qui nous habite.

En ce sens, le message inscrit dans ces quelques versets garde toute son actualité : le mariage chrétien doit s’inspirer de l’amour qui unit le Christ à son Église, y puiser son sens, le refléter au cœur du monde, le transmettre aux autres. Il faut proclamer ce message aujourd’hui plus que jamais, avec encore plus d’insistance et de courage, au cœur même d’une réalité sociale qui n’est plus celle du temps de Saint Paul.

mercredi 15 août 2012

Canta et ambula

Lire Éphésiens 5, 15-20

Apprendre qu’on a été nommé évêque, c’est à la fois une grande joie et une source d’anxiété. L’anxiété n’est pas diminuée par le secret qu’on doit garder en attendant que la nomination soit publiée à Rome. Je dois dire que j’ai trouvé difficile cet intervalle de huit jours entre ma nomination et son annonce. Ça fait quinze ans, mais je m’en souviens bien : ma vie avait changé sans que je puisse en parler à qui que ce soit.

J’ai pu au moins en profiter pour me choisir une devise. En effet, une vieille tradition veut qu’un nouvel évêque se choisisse quelques mots qui expriment un peu la vision de son ministère. J’ai fouillé pendant plusieurs jours dans la bible, mais j’ai fini par m’arrêter à une homélie de saint Augustin. Dans cette homélie du jour de Pâques, l’évêque du quatrième siècle réfléchit au chant de l’Alléluia qui résonne dans l’église en ce dimanche de la Résurrection. Il suggère qu’en ce jour, l’Église de la terre est unie à l’Église du ciel par le chant de l’Alléluia. Mais il propose aussi qu’il y a une différence qu’il ne faudrait pas négliger : au ciel, on chante alléluia au repos, tandis que sur la terre, on chante alléluia en marchant, comme des pèlerins. L’Alléluia du pèlerin, c’est un chant d’encouragement, un chant d’entrain qui le pousse à ne pas lâcher, qui remet la joie au cœur d’un chemin qui est parfois pénible. C’est ainsi, dit Augustin, qu’il faut chanter alléluia sur la terre : en marchant. Il finit son homélie en latin avec ce défi : canta et ambula, chante et marche.

J’ai choisi ces mots comme devise d’abord parce qu’ils font allusion aux années que j’ai consacrées à l’étude du chant, d’une part, et à mon engagement en Église, d’autre part. Mais encore plus, ces mots me parlent d’un mouvement fondamental de la vie chrétienne qui rythme célébration et engagement, rituel et vie quotidienne, sacrements et transformation du monde. Le chant représente cette dimension joyeuse et spontanée de la vie de l’Esprit qui s’exprime dans la gratitude et la louange. Mais la vie chrétienne, c’est aussi la marche : l’engagement au cœur du quotidien où, par nos choix et nos actions, nous cherchons à bâtir un monde ouvert au Royaume de justice, de paix et de joie.

N’est-ce pas là le rythme que nous présentent ces quelques versets de l’épître de Saint Paul aux Éphésiens en ce dimanche? Paul nous dit que la vie chrétienne au cœur du monde n’est pas facile, parce que le monde ne partage pas les valeurs de l’Évangile : « nous traversons des jours mauvais, » dit-il, durant lesquels il faut absolument rester attaché à la volonté de Dieu.

Mais même au cœur de cet immense défi, il faut savoir chanter et célébrer le Seigneur, car il est ressuscité, il a triomphé du mal et de la mort, il est la source de notre espérance et de notre amour. Il faut chanter « des psaumes, des hymnes, de libres louanges » avec nos voix, certes, mais surtout avec notre cœur.

Écoutons donc cette invitation de Saint Paul, écoutons ce défi de saint Augustin, apprenons « à chanter et à marcher » au jour le jour. Canta et ambula.